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Booking.com et abus de position dominante : l’application du règlement Bruxelles 1 bis


La Cour de justice de l’Union européenne a considéré que l’exploitant d’un hôtel ayant conclu un contrat avec la plateforme Booking.com peut, en principe, intenter une action contre cette dernière devant une juridiction d’un État membre afin de faire cesser un éventuel abus de position dominante.


Dans son arrêt du 24 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne, s’est prononcée sur l’application de la règle de compétence spéciale en matière délictuelle ou quasi délictuelle posée par l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012 dit Bruxelles 1 bis, aux agissements de la plateforme Booking.com, et notamment au regard d’un abus de position dominante dans le cadre d’une relation contractuelle.


Cet arrêt s'inscrit dans le cadre d’une série d'arrêts rendue par la Cour de justice de l'Union européenne au regard de l'importance prise par les aspects internationaux dans le contentieux de la réparation et sur les questions de compétence internationale (CJUE 21 mai 2015, aff. C-352/13, Cartel Damage Claims c/ Hydrogen Peroxide, D. 2015. 2031, obs. L. d'Avout ;D. 2016. 964, obs. D. Ferrier ; D. 2016. 1045, obs. F. Jault-Seseke ; AJCA 2015. 382, obs. A.-M. Luciani ; Rev. crit. DIP 2019. 786, note L. Idot ; RTD eur. 2015. 807, obs. L. Idot. – CJUE, 2e ch., 5 juill. 2018, aff. C-27/17, FlyLal, D. 2018. 1500 ; D. 2018. 1934, obs. S. Bollée ; D. 2019. 1016, obs. F. Jault-Seseke ; Rev. crit. DIP 2019. 786, note L. Idot ; RTD eur. 2018. 817, obs. L. Idot. CJUE 29 juill. 2019, aff. C-451/18, Tibor Trans, D. 2019. 1656 ; D. 2019. 1956, obs. E. Farnoux ; Rev. crit. DIP 2020. 129, note L. Idot ; RTD eur. 2019. 907, obs. L. Idot).


En l’espèce, une société exploitant un hôtel en Allemagne, a conclu un contrat-type avec la société Booking.com BV, société de droit néerlandais, dans lequel figurait une clause de renvoi aux conditions générales de Booking.com hébergées directement sur le site internet de la plateforme. À la suite d’une modification desdites conditions générales, l’exploitant de l’hôtel a estimé qu’il n’avait pas eu d’autre choix que de conclure le contrat et d’en subir les modifications ultérieures au regard de la position dominante de Booking.com sur le marché des services d’intermédiaires. En conséquence, l’exploitant a introduit une action à l’encontre de la société Booking.com devant les juridictions allemandes pour un abus de position dominante.

Or l’Oberlandesgericht Schleswig, le tribunal régional supérieur de Kiel, a considéré que la compétence des juridictions allemandes faisait défaut au regard du règlement Bruxelles 1 bis, car la société Booking.com ayant établi son siège social aux Pays-Bas ni la compétence spéciale au titre du lieu d’exécution de l’obligation contractuelle, ni la compétence spéciale du lieu du fait dommageable en matière délictuelle ou quasi délictuelle, n’étaient établies.


La Cour de justice de l’Union européenne, saisie à titre préjudiciel par la Cour fédérale de justice allemande, s’est interrogée afin de savoir si l’article 7, point 2, du règlement Bruxelles 1 bis – relatif à la règle spéciale de compétence en matière délictuelle et quasi délictuelle – pouvait s'appliquer à une action visant à faire cesser un abus de position dominante dans le cadre d’une relation contractuelle.


Préalablement à tout développement, il convient de rappeler les règles de compétences prévues par le règlement Bruxelles 1 bisafin de déterminer la juridiction territorialement compétente.

En effet, en présence d'un litige opposant deux protagonistes de nationalité différente, comme cela est le cas entre la société allemande et Booking.com, les règles du droit international permettent de déterminer quelle est la juridiction compétente pour connaitre du litige.


Le principe, déterminé par l'article 4, point 1, du règlement no 1215/2012, peut se résumer à l'adage actor sequitur forum rei, qui signifie « […] les personnes domiciliées sur le territoire d'un État [contractant ou membre] sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État ».

Toutefois, des règles de compétences spéciales sont posées par l'article 7 dudit règlement, et notamment en matière contractuelle et en matière délictuelle ou quasi délictuelle. Ainsi, en matière contractuelle, l'article 7, point 1, du règlement permet d'attraire une personne domiciliée sur le territoire d'un État contractant ou membre dans un autre État contractant ou membre devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. De même en matière délictuelle ou quasi délictuelle, il est possible, au visa de l'article 7, point 2, d'attraire le défendeur dans un autre État en matière délictuelle ou quasi délictuelle devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.


Ainsi, au visa de ces règles spéciales de compétences visées à l’article 7 du règlement Bruxelles 1 bis, les juridictions allemandes se sont considérées comme incompétentes. Elles ont en effet considéré que la compétence des juridictions allemandes faisait défaut car les règles de compétences spéciales ne pouvaient s'appliquer, et, qu'en conséquence, il fallait revenir au principe de l'article 4, point 1, du règlement. La société Booking.com ayant son siège social aux Pays-Bas, les juridictions compétentes étaient donc, pour les juridictions allemandes, les juridictions néerlandaises.


C'est donc face à l'application de ces règles de compétences spéciales, et plus précisément au visa de celle posée par l'article 7, point 2, du règlement Bruxelles 1 bis que la Cour de justice de l'Union européenne a été amenée à se questionner.


Cette question, pouvant s'apparenter à une question plus que classique en matière de droit international, s'avère en réalité plus complexe, et ce notamment au regard de l'utilisation du fondement de l'article 7, point 2, du règlement Bruxelles 1 bis.

En effet, l'exploitant de l'hôtel et la société Booking.com sont dans le cadre d'une relation contractuelle depuis 2009. En conséquence, il semblerait plus opportun que cette question se fonde sur l'article 7, point 1, du règlement visant expressément la matière contractuelle.


Face à cette problématique, la Cour de justice de l'Union européenne applique un syllogisme particulier.

La Cour de justice vient poser le principe selon lequel, bien que l'action relève de la matière contractuelle – et donc du fondement de l'article 7, point 1, du règlement Bruxelles 1 bis – lorsque le demandeur invoque la violation d'une obligation imposée par la loi, et qu'il n'apparait pas indispensable d'analyser le contenu du contrat pour apprécier le caractère illicite ou non du comportement, la cause de l'action relève de la matière délictuelle, et donc de l'article 7, point 2, dudit règlement.


En l'espèce, la Cour de justice de l'Union européenne a considéré que l'exploitant de l'hôtel se prévaut d'une violation du droit de la concurrence allemand prévoyant une interdiction générale de commettre un abus de position dominante.

En conclusion, considérant que la société Booking.com a commis un abus de position dominante au sens du droit allemand en imposant un renvoi contractuel à ses conditions générales hébergées en ligne et modifiées, et qu'il n'est pas nécessaire d'interpréter le contrat conclu entre l'exploitant et Booking.com, l'action relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle prévue par l'article 7, point 2 du règlement Bruxelles 1 bis.


La Cour de justice considère ainsi que même dans le cadre d'une relation contractuelle, l'article 7, point 2, du règlement Bruxelles 1 bis – relatif à règle de compétence spéciale en matière délictuelle ou quasi délictuelle – peut s'appliquer afin de déterminer la juridiction compétente en présence d'un abus de position dominante, violation d'une obligation imposée par la loi.


Cette jurisprudence européenne n'est pas sans faire écho à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 7 janvier 2020 dans un litige opposant les sociétés du groupe Google et la société française LeGuide.com, relevant de l'application par les juges internes de la question de la compétence internationale en matière d'atteintes à la concurrence (Paris, 7 janv. 2020, RG n° 19/12553, D. 2020. 2327, note O. Boskovic).


réf. : BONNET (C.), "Booking.com et abus de position dominante : l’application du règlement Bruxelles 1 bis", Doctrin'Actu janvier 2021, art. 152


Photo by Francesca Saraco on Unsplash

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