Censure par le Conseil constitutionnel de la loi Avia
Le 20 septembre 2018, un rapport visant à lutter contre le racisme et l’antisémitisme sur Internet, à la rédaction duquel a participé la députée Laetitia AVIA, est remis au Premier ministre [1]. Ce rapport à pour objectif de proposer face à la prolifération des contenus haineux sur Internet des « solutions opérationnelles, concrètes, immédiatement applicables et conformes à la liberté d’expression ».
Sur la base de ce rapport, la députée travaillera sur une proposition de loi qu’elle déposera le 20 mars 2019 à l’Assemblée nationale. Après le jeu de la navette parlementaire, le texte sera définitivement adopté le 13 mai 2020 par l’Assemblée.
Cinq jours plus tard, soixante sénateurs saisissent le Conseil constitutionnel.
La loi propose notamment de modifier l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique [2], et de créer un nouvel article 6-2, modifications que le Conseil constitutionnel a jugé « non conformes » dans sa décision du 18 juin 2020 [3].
I. Article 6-1 : renforcement des moyens de lutte contre les contenus terroristes et pédopornographiques
L’article 6-1 a été ajouté à la loi de 2004 en 2014 à la faveur de la loi relative à la lutte contre le terrorisme portée par le gouvernement Valls [4].

Ces modifications sont censurées par le Conseil constitutionnel aux motifs que :
A. « D’une part » : la caractérisation de l’illicéité du contenu
Le Conseil retient que dans le cadre de la loi Avia, « la détermination du caractère illicite des contenus en cause ne repose pas sur leur caractère manifeste. Elle est soumise à la seule appréciation de l’administration ».
Ce pouvoir octroyé à l’administration fait reposer un risque d’arbitraire sur la liberté d’expression. Mais, plus que la soumission à la seule appréciation de l’autorité administrative du caractère illicite d’un contenu, c’est l’absence de contradictoire et de possibilité de recours qui semble donner à cette disposition son caractère anticonstitutionnel.
B. « D’autre part » : le contrôle de l’action de l’autorité administrative
L’autorité administrative peut seule, sans l’aval de l’autorité judiciaire, entamer des démarches auprès des opérateurs Internet pour faire retirer des contenus terroristes et pédopornographiques. Le Conseil constitutionnel a déjà été amené à se prononcer sur cette question en 2011 dans son contrôle de la loi HADOPI prévoyant déjà ce type de procédure pour les contenus pédopornographiques [5]. Le Conseil avait alors décidé « que les dispositions législatives attaquées ne conféraient à l'autorité administrative que le pouvoir de restreindre l'accès à des services de communication au public en ligne lorsque et dans la mesure où ils diffusent des images de pornographie enfantine et rappelant que la décision de l'autorité administrative est susceptible d'être contestée à tout moment et par toute personne intéressée devant la juridiction compétente, le cas échéant en référé, il a jugé que le législateur avait su concilier de façon proportionnée l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et la liberté de communication ».
Dans son contrôle de proportionnalité, le Conseil admet qu’il est possible d’octroyer le pouvoir à l’autorité administrative de faire retirer des contenus pédopornographiques en ligne, dans la mesure où il existe un contre-pouvoir judiciaire efficace.
Le Conseil a jugé que dans le cas de la loi Avia cette condition n’était pas vérifiée : « l’engagement d’un recours contre la demande de retrait n’est pas suspensif et le délai d’une heure laissé à l’éditeur ou l’hébergeur pour retirer ou rendre inaccessible le contenu visé ne lui permet pas d’obtenir une décision du juge avant d’être contraint de le retirer ».
Au final et pour ces deux motifs, le Conseil conclut que dans ces conditions « le législateur a porté à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi ».
II. Article 6-2 : lutte contre les contenus haineux et sexuel
Si les modifications apportaient à l’article 6-1 visaient à renforcer les dispositions existantes sur la lutte contre les contenus terroristes et pédopornographiques, c’est le nouvel article 6-2 qui, au cœur de la « loi visant à lutter contre les contenus haineux », qui prévoyait un nouveau régime pour lutter contre les contenus haineux ou sexuel.

Le Conseil relève que les opérateurs ont dès lors obligation de retirer des contenus dans les vingt-quatre heures suivant leur signalement. Que signalement et retrait ne sont pas subordonnés à l’intervention préalable d’un juge et qu’il appartient donc à l’opérateur d’examiner seul toutes les demandes sous peine de sanction pénale. Que cet examen ne doit pas se limiter aux motifs invoqués dans le signalement, mais à l’ensemble des infractions prévues dans la loi.
Le Conseil en conclut que « compte tenu des difficultés d’appréciation du caractère manifestement illicite des contenus signalés dans le délai imparti, de la peine encourue dès le premier manquement […], les dispositions contestées ne peuvent qu’inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites ».
Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel a conclu que ces dispositions « portent […] une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».
[2] Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique
[3] Décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020
[4] Loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme
[5] Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011
réf. : Pôle IP/IT, "Censure par le Conseil constitutionnel de la loi Avia", Doctrin'Actu juin 2020, art. 133