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Cession avec charges : retard dans les pourparlers post-attribution et impacts sur l’offre retenue


Par Marion TAUPENAS, Avocat associé chez MAROLLEAU & TAUPENAS


Dans un arrêt lu le 17 juin 2019 (n°19MA00412 -19MA00413), la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur cession avec charges et sur les possibilités offertes à la personne publique pour revenir sur l’attribution de ce contrat après avoir écarté sa requalification en marché public de travaux.


En substance, l’EPF PACA avait lancé une consultation relative à la vente de terrains constitués de 6 parcelles situées sur le territoire de la commune de Solliès-Toucas, dont la propriété appartenait pour partie à l’EPF et pour partie à ladite commune.


Le projet consistait en la création de 75 logements mixtes comportant un minimum de 50% de logements sociaux. L’offre de la société PROLETAZUR avait été retenue en juillet 2013. Par courrier en date du 17 février 2015, l’EPF PACA informe ladite société ne plus donner de suite favorable à cette offre. La société PROLETAZUR introduit un recours en excès de pouvoir et obtient l’annulation de cette décision devant le tribunal administratif de Toulon (Tribunal administratif de Toulon, 16 novembre 2018, n° 15012).


Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Marseille annule, en revanche, le jugement du tribunal administratif de Toulon et rejette la requête de la société PROLETAZUR.


Cet arrêt constitue l’occasion de revenir sur les contours de la notion de vente avec charges et les conditions de retrait d’une décision d’attribution d’un contrat de cession de biens appartenant à une personne publique.


Après avoir tranché une jolie question de compétence (I), la cour administrative d’appel de Marseille se prononce sur la qualification du contrat (II) pour annuler le jugement rendu par le tribunal administratif de Toulon et rejeter la requête de la société PROLETAZUR (III).


I. Sur la compétence de la juridiction administrative


Il est toujours intéressant de noter comment, par des raisonnements différents, juge de première instance et juge d’appel parviennent à une solution identique.


L’EPF PACA se prévalait de ce que les litiges nés de l’activité d’un établissement public industriel et commercial par détermination de la loi relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire à l’exception des litiges nés d’activités « telles la règlementation, la police ou le contrôle ressortissent par leur nature de prérogatives de puissances publiques et ne peuvent donc être exercées que par un service public administratif » [1]. Relevant que la cession de biens du domaine privé de la commune ou de l’EPF ne relevait d’aucune de ces catégories, l’EPF concluait à l’incompétence de la juridiction administrative pour connaître du litige qui nous occupe aujourd’hui.


Le tribunal administratif de Toulon avait jugé pour sa part que la compétence du juge administratif s’appliquait de plein droit lorsque est en cause un acte détachable à la passation d’un contrat adopté par une personne publique, que ce contrat soit administratif ou de droit privé.


Ce faisant, il faisait usage d’une des trois exceptions [2] à la règle selon laquelle les actes relatifs à la gestion du domaine privé relèvent de la compétence du juge judiciaire.


La notion d’acte détachable constitue sans doute l’exception la plus malaisée à mettre en œuvre et, en conséquence, la plus discutée. On peut à titre d’illustration citer un arrêt du Conseil d’État du 8 juin 2011 (n°327515), relatif à la régularisation rétroactive d’un acte détachable d’un contrat, éclairant en ce qui nous concerne en ce que, d’une part, il rappelle la compétence de principe du juge administratif en matière d’annulation des actes détachables du contrat conclu par une personne publique quel que soit la nature de celui-ci, et d’autre part, qualifie la promesse de vente d’acte détachable du contrat.


Le juge administratif d’appel rejette les deux thèses : d’une part, l’EPF PACA constitue un établissement public industriel et commercial par détermination du règlement et non de la loi. D’autre part, il rappelle que lorsqu’une décision affecte le périmètre ou la consistance du domaine privé, le juge administratif recouvre sa compétence [3].

II. Sur la requalification d’une cession en marché public en raison des charges qu’elle crée


Le tribunal administratif avait considéré que la cession en cause constituait un marché public et que, celui-ci ayant fait l’objet d’une attribution définitive, l’EPF PACA pouvait uniquement procéder à la déclaration sans suite pour motif d’intérêt général de ce marché. En effet, selon ce même tribunal, les difficultés liées à l’élaboration de la promesse synallagmatique de vente, postérieure à la décision d’attribution, ne pouvaient constituer une condition de légalité de ladite attribution et partant, fonder le retrait de celle-ci.


Le juge administratif toulonnais avait retenu la qualification de marché public en vue des charges imposées par une personne publique non contractante (la commune de Solliès-Toucas, nous y reviendrons) à l’attributaire : le cahier des charges imposait à l’acquéreur de réaliser un programme immobilier en respectant un cahier de prescriptions urbaines paysagères et architecturales. Ce faisant, et toujours selon le tribunal administratif, la cession avait pour objet la satisfaction de l’intérêt économique direct de la commune de Solliès-Toucas (non partie à la promesse) et constituait ainsi un marché public.


Paraphrase étant faite du jugement du tribunal administratif de Toulon, nous pouvons désormais nous intéresser au raisonnement de la cour administrative d’appel dans l’arrêt présentement commenté et plus précisément aux critères de qualification de marché public d’une cession (1) et de la détermination de la personne publique bénéficiaire dudit contrat (2).


1. Sur les critères de qualification d’une cession avec charges de marché public


La cour administrative d’appel balaye d’emblée la qualification de marché public, et pour cause, aucun caractère onéreux « pour l’établissement », c’est-à-dire l’EPF, n’était constitué.


On peut brièvement rappeler ici les critères qui président à la requalification d’une cession en marché public en raison des charges qu’elle génère.


Étonnamment, il est souvent considéré que ceux-ci ont été précisés par l’arrêt « Helmut Müller Gmbh » de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 25 Mars 2010 (n° C-451/08) alors même que ladite décision n’est pas aussi tranchée qu’il n’y parait.


Pour mémoire, ces critères – dont le cumul est pour l’instant exigé par le juge administratif français – sont identifiés par M. le Rapporteur Public Frédéric Dieu dans ses conclusions [4] sous l’arrêt « Commune de Rognes » de la cour administrative d’appel de Marseille du 25 février 2010 (n° 07MA03620). Il s’agit de :

  • la réalisation de travaux ;

  • le cocontractant doit être un opérateur économique ;

  • le contrat doit être conclu à titre onéreux ;

  • la fonction technique ou économique du résultat des travaux effectués ;

  • le contrat doit satisfaire au besoin du pouvoir adjudicateur.

Seuls les critères de la satisfaction du besoin du pouvoir adjudicateur (a) et de l’onérosité du contrat (b) seront ci-après développés.


a. Sur la satisfaction du besoin du pouvoir adjudicateur


L’opération considérée doit, on le rappelle, être réalisée dans l’intérêt économique direct de la personne publique.


Pour apprécier la réalité ou l’absence d’intérêt économique direct de la personne publique, on peut utilement se référer de nouveau aux conclusions précitées de Monsieur le Rapporteur Public Frédéric Dieu [5] sous l’arrêt « Commune de Rognes » de la cour administrative d’appel de Marseille du 25 février 2010 (n° 07MA03620) :


« il nous semble que ces constructions répondent bien aux besoins exprimés par la commune de Rognes. L'on a vu que la commune avait défini précisément l'objet et les caractéristiques des constructions devant être édifiées par son cocontractant. Bien loin donc d'avoir laissé la société Provence foncier décider des caractéristiques des ouvrages concernés et de leur conformité aux intérêts de la collectivité, la commune lui a vendu des parcelles de son domaine privé afin qu'elle y construise des ouvrages destinés non pas à son propre usage mais à la satisfaction d'un objectif de développement de son offre et de son attractivité immobilières, ce dans le but de favoriser l'accession à la propriété des habitants (en particulier des jeunes ménages) de la commune et d'encourager en outre l'installation de personnes en provenance d'autres communes. Il s'agissait donc de satisfaire un objectif politique au sens large et neutre du terme, un objectif de politique locale. Pour le dire autrement, les caractéristiques du projet en cause, projet initié et défini par la commune, en font un projet d'intérêt communal, ce qui permet de considérer que le cinquième critère d'identification des marchés publics de travaux est en l'espèce rempli. Comme le soulignent E. Fatôme et P. Terneyre dans l'article précité, « dès lors que le contrat définit de façon précise les caractéristiques des ouvrages, il paraît difficile, nous semble-t-il, de ne pas considérer que, bien que destinés à des tiers, ils répondent à un besoin précisé par la personne publique.».


Ainsi, Monsieur le Rapporteur Public s’assure que le projet immobilier considéré participe bien à l’intérêt public local caractérisé dans le cas soumis à son contrôle par les objectifs suivants : permettre l’accession à la propriété des habitants et le développement de l’attractivité de la commune [6].


Rien n’étant jamais simple, rappelons que la Cour de Justice de l’Union Européenne dans l’arrêt « Helmut Müller Gmbh » [7] précité exclut toutefois que le critère d’intérêt économique direct puisse être satisfait lorsque la personne publique se borne à exercer ses compétences de régulation en matière d’urbanisme.


Tout est donc question de mesure : l’intérêt économique direct ne peut pas se traduire par le « simple » exercice du pouvoir de régulation en matière d’urbanisme de la personne publique définit par la Cour de justice comme un « objectif public d’intérêt général dont il incombe au pouvoir adjudicateur d’assurer le respect, tel que le développement ou la cohérence urbanistique d’une partie d’une commune » (§55 de l’arrêt).


b. Sur l’onérosité du contrat


Si ce critère apparait cohérent au regard de la définition obsolète du contrat de marché public (contrat conclu « à titre onéreux » au sens de l’article 4 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics), il pourra à notre sens faire l’objet de nouveaux débats eu égard à la définition donnée par le code de la commande publique entré en vigueur au 1er avril dernier, à savoir, un contrat conclu « en contrepartie d'un prix ou de tout équivalent » (article L. 1111-1 dudit code).


Il est en tout cas inexact de considérer que l’arrêt Helmut Müller précité a expressément dégagé ce critère.

Pour s’en convaincre, on peut utilement se référer à l’étude [8] de Mme le Professeur Rozen Noguellou qui précisait déjà en 2011 à propos de l’arrêt Helmut Müller que :


« 34. - On a d'ailleurs pu considérer que la Cour de justice était allée plus loin et il est vrai que, dans l'arrêt Helmut Müller déjà cité, elle a semblé admettre que le critère de « l'intérêt économique direct » se suffisait à lui-même pour la qualification de marché de travaux, sans qu'il soit besoin d'exiger, en outre, d'analyser l'onérosité du marché. En d'autres termes, la notion d'intérêt économique direct joue à la fois, dans cet arrêt du moins, comme le révélateur que l'opération de travaux répond « aux besoins » de la collectivité publique et comme un substitut au caractère onéreux du contrat. Comme l'ont écrit F. Llorens et P. Soler Couteaux, « l'arrêt aboutit à qualifier de marché public de travaux, non seulement des contrats en vertu desquels le pouvoir adjudicateur ne se voit remettre aucun ouvrage – ce qui était déjà admis par la jurisprudence antérieure – mais encore des contrats dans le cadre desquels il ne supporte aucune charge » (…) .


35. - Ce point est évidemment très important pour les hypothèses qui nous intéressent. Si, lorsque la personne publique commande des travaux, il y aura systématiquement un transfert financier ou un moins-perçu de la collectivité publique au bénéfice de son acheteur, il peut en aller différemment si la personne publique se contente de « profiter » d'une opération de travaux, par exemple en imposant telle ou telle affectation pour des immeubles. Dans ce cas, le caractère onéreux sera difficile à prouver, sauf si l'on admet qu'il est possible d'y suppléer par la seule démonstration de « l'intérêt économique » de la collectivité publique ».


Pour autant, et à ce jour, il constitue un critère majoritairement adoubé par la jurisprudence tel que notre l’arrêt l’illustre ainsi que par la doctrine [9] afin de qualifier le contrat de vente de marché public en raison des charges qu’il génère pour l’opérateur économique.


2. Sur la détermination de la personne publique bénéficiaire de l’opération


La personne publique bénéficiaire de l’opération ne peut-elle être que la seule personne publique cocontractante (tel l’EPF PACA dans l’arrêt commenté) ou peut-il s’agir d’une personne publique tierce à l’acte de cession (telle que la commune de Solliès-Toucas dans notre affaire) ?


En l’espèce en effet, la cour administrative d’appel de Marseille ne s’interroge qu’à propos de l’EPF PACA, personne publique cocontractante, et non de la commune de Solliès-Toucas, contrairement au tribunal administratif de Toulon.


Sur ce point, nous nous rangeons du côté du tribunal administratif de Toulon : la notion de pouvoir adjudicateur direct n’implique pas que celui-ci soit le cocontractant de l’opérateur économique ni même le propriétaire des biens édifiés à l’issue du marché. Il faut et il suffit que l’exécution de ce contrat réalise son besoin.


A noter que sur ce point le tribunal administratif de Paris apparait se ranger également à cette assertion, puisqu’il s’est très récemment interrogé sur la requalification de cessions en marchés publics à propos de la ville de Paris alors même que ladite commune n’était pas cocontractante (TA Paris, 29 mars 2019, n° 1810371) [10].


Bref, la cour administrative d’appel de Marseille s’en tenant à relever l’absence d’onérosité de la cession pour l’EPF PACA et excluant la qualification de marché public, il convient de s’interroger sur le sort de l’acte de cession en présence, et la possibilité pour l’administration de « ne pas donner suite » à une décision retenant l’offre d’un opérateur économique (III).


III. Sur le sort réservé à la décision de l’EPF de ne plus donner suite à l’offre de la société PROLETAZUR


Si le contrat avait été requalifié en marché public, l’EPF PACA désireux de se défaire du titulaire n’aurait plus eu d’autres choix que de déclarer sans suite le marché sous réserve de motiver sa décision par un motif intérêt général [11], l’attribution d’un tel contrat ne constituant pas une décision créatrice de droits.


La cour administrative d’appel fonde le rejet de la requête de la société requérante sur le fait que la décision de ne pas donner de suite favorable à son offre résulte de ce que ladite société est – « au moins en partie » - à l’origine du retard dans les pourparlers en vue de l'établissement de la promesse de vente et ce, en méconnaissance du cahier des charges qui permettait à l’EPF PACA d’abandonner la procédure à tout moment pour tout motif dont la carence de l’opérateur retenu.


Cette solution n’est pourtant pas satisfaisante, et pour cause, on ne peut pas manquer de l’analyser à la lumière de la lecture de la portée d’un arrêt récent du Conseil d’État du 27 mars 2017 (n°390347) par lequel celui-ci a rappelé que lorsqu'une personne publique opte pour une mise en concurrence elle doit tout à la fois respecter et mettre en œuvre le principe tiré de l'égalité de traitement des candidats [12].


En effet, la personne publique ne peut pas, dans ce cas, choisir de mettre en application partiellement ces règles au gré de ses besoins. C'est pourquoi elle ne peut, à notre sens, lorsqu'elle a retenu l'offre d'un candidat, revenir sur cette attribution qu'en déclarant la procédure sans suite pour motif d'intérêt général, peu importe que le candidat se révèle par la suite diligent ou non.


Admettre l’inverse reviendrait à permettre à la personne publique d’évincer le candidat ayant objectivement remis la meilleure offre et partant, à violer le principe tiré de l’égalité de traitement entre les candidats. En effet, dans notre arrêt d’espèce la cour administrative d’appel de Marseille vient sanctionner le retard qui est seulement « au moins en partie imputable à cette société » (considérant n°17).


Vous avez dit juge de l’administration ? Oui, facile. Mais « peut-être suis-je myope et un peu sourd, comme tout critique qui se respecte » [13].


 

[1] Voir en ce sens les décisions du Tribunal des Conflits (arrêt n°C3416 lu le 29 décembre 2004) et du Conseil d’État lu le 31 mai 2013 (n°346876)


[2] La première résultant de l’existence de clauses exorbitantes et la deuxième, à manier – également –avec prudence, étant relative aux travaux publics effectués sur le domaine privé de la personne publique


[3] Pour des exemples récents voir : CE, 15 mars 2017, n° 393407, TC, 15 mai 2017, n°4079


[4] Frédéric Dieu, Obligations liées à la cession de biens du domaine privé d'une commune assortie d'une obligation de travaux, AJDA 2010 p. 1200