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Changement de rattachement pour certains tribunaux administratifs

Dernière mise à jour : 11 mai 2020


Au Journal Officiel du 6 mai 2020 a paru le décret n° 2020-516 du 5 mai 2020, modifiant le ressort des cours administratives d'appel.


Ce décret modifie la rédaction de l'article R. 211-7 du code de justice administrative et, de ce fait, la compétence d’appel rationae loci de trois cours administratives d’appel (CAA). Il entrera en vigueur à compter du 1er septembre 2020 et concernera donc tous les jugements rendus à partir de cette date.


Par l’application de ce décret en Conseil d’Etat, rendu après avis du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (CSTACAA) du 23 mars 2020, la CAA de Nantes se voit retirer la compétence d’appel des jugements rendus par le tribunal administratif d’Orléans au profit de la cour administrative d’appel de Versailles. Cette dernière perd de ce fait la compétence d’appel des jugements rendus par le tribunal administratif de Montreuil qui ressortit désormais à la cour administrative d’appel de Paris.


C’est ainsi que les cours administratives d’appel de Paris et Versailles récupèrent chacune un tribunal administratif dans le champ de leur compétence territoriale quand la cour administrative d’appel de Nantes en perd un.


Ce jeu des chaises musicales s’explique par une très forte augmentation des recours enregistrés devant la juridiction nantaise d’appel, dont le nombre a bondi de 14 % entre 2017 et 2018 [1] et de 10 % supplémentaires entre 2018 et 2019 [2].


A titre de comparaison, sur la même période, le nombre de recours enregistrés devant la cour administrative de Paris n’a augmenté que de 2 % sur chacune des périodes en cause.


Le responsable d’un tel bouleversement en pays de la Loire est, sans aucun doute, le contentieux de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, outre le contentieux en droit des étrangers qui constitue le poste le plus important des recours enregistrés par les cours administratives d’appel et a atteint pour la première fois en 2019 le taux de 51 % des entrées des cours à l’échelle nationale.

En effet, le contentieux urbanistique, avec ses nombreuses problématiques, notamment celles liées à l’aménagement du littoral dont la cour administrative d’appel constitue un des fers de lance de la jurisprudence, est en constante augmentation depuis plusieurs années.

A noter, par ailleurs, que la cour administrative d’appel de Nantes est devenue le chef-lieu du contentieux de l’éolien en mer puisqu’elle bénéficie, dans ce domaine, d’une compétence en premier et dernier ressort depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2016-9 du 8 janvier 2016 concernant les ouvrages de production et de transport d'énergie renouvelable en mer. Sans oublier les nombreux contentieux qui n’auront pas manqué d’émerger autour de la désormais célèbre « ZAC de Notre-Dame des Landes ».


En définitive, par son nombre important d’affaires traitées (5 111 en 2019), Nantes devient la deuxième juridiction administrative d’appel à traiter le plus d’affaires, juste derrière Marseille (5 749 en 2019).

Et il y a fort à parier que cette tendance se confirme par la suite, dans la mesure où le tribunal administratif de Nantes dispose du deuxième stock d’affaires à traiter le plus important (14 656 en 2019, soit une augmentation de 15,8 % par rapport à 2018), et se positionne juste derrière le tribunal administratif de Paris (14 778 en 2019) et loin devant Cergy-Pontoise et Marseille (avec un stock respectif d’affaires de 11 503 et 9 088 en 2019).


Un détail procédural mérite enfin d’être souligné.


Comme précédemment indiqué, le Conseil d’Etat a souhaité cette modification de compétence territoriale après avis, comme il se doit, du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, qui a statué le 23 mars 2020.


Or comment le CSTACAA a-t-il pu se réunir et délibérer valablement en cette période de crise sanitaire liée au COVID-19 ?


Cela tient à une disposition règlementaire du code de justice administrative qui ne doit nullement son apparition à un virus de 2020 puisqu’elle est issue de l’article 12 du décret n° 2011-1950 qui date du 23 décembre 2011 prévoyant notamment que :


« A titre exceptionnel, les membres du Conseil supérieur peuvent, en cas d'urgence née de l'impossibilité de réunir le quorum dans un délai utile, être consultés à distance, par visioconférence, pour émettre un avis sur un projet dont le conseil est saisi par le Gouvernement. »


On ne peut que saluer la rédaction d’une telle disposition codifiée aujourd’hui à l’article R. 232-20-2 du code de justice administrative.


On imagine que les rédacteurs de l’époque étaient loin d’imaginer la portée et l’utilité d’une telle disposition au regard de la situation actuelle de confinement national.


Toutefois, si le CSTACAA a pu valablement se réunir et délibérer par des moyens technologiques de visioconférence, il est regrettable que ce type de disposition soit si épars dans la législation française et qu’il ne soit pas davantage permis à d’autres institutions de délibérer, siéger, voire statuer par des moyens identiques que ceux utilisés par le CSTACAA. On pense notamment au Conseil d’Etat statuant au contentieux.


Enfin, il est pour le moins paradoxal que ce même CSTACAA soit par principe défavorable au développement des visio-audiences [3].


 

[1] Rapport annuel d’activité du Conseil d'Etat, l’activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2018, adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat le 14 mars 2019 [2] Rapport annuel d’activité du Conseil d'Etat, l’activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2019, adopté par l’Assemblée générale du Conseil d’Etat le 26 mars 2020 [3] Par ces motifs du CSTACAA dématérialisé qui s’est tenu les 23 et 24 mars 2020



réf. : JOUANIN (N.), "Changement de rattachement pour certains tribunaux administratifs", Doctrin'Actu mai 2020, art. 129 

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