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Charges du mariage et clause de quitus : attention à la présomption irréfragable

Dernière mise à jour : 16 août 2019


Cour de Cassation, civ 1, Audience publique du mercredi 3 octobre 2018 n°17-25858 [1] :


« Attendu que M. Y. fait grief à l'arrêt de dire que le projet d'état liquidatif établi par le notaire doit être modifié pour tenir compte des droits égalitaires des deux époux sur l'immeuble de Levallois-Perret, alors, selon le moyen :


1°/ qu'en se fondant, pour dire que l'état liquidatif devrait comporter des droits égaux pour les deux époux sur l'immeuble de Levallois-Perret, sur le fait que le contrat de mariage comportait une clause instituant une présomption irréfragable de contribution égale des époux aux charges du mariage, après avoir elle-même constaté que cet immeuble « ne constituait pas le domicile de la famille », ce dont il se déduisait que son financement n'entrait pas dans le champ de la contribution aux charges du mariage et n'était donc pas régi par la clause précitée, la Cour d'Appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 1096 ancien, 214 et 1537 du Code Civil ; (…)


Mais attendu qu'après avoir constaté le caractère irréfragable de la clause du contrat de mariage relative à la contribution des époux aux charges du mariage, l'arrêt relève que le financement de ce bien immobilier destiné à l'usage de la famille, même s'il ne constituait pas le domicile conjugal, est inclus dans la contribution de l'époux aux charges du mariage, dès lors que celui-ci ne démontre pas que sa participation ait excédé ses facultés contributives ; que, de ces constatations et appréciations, la Cour d'Appel a pu déduire qu'il n'y avait aucun compte à établir, chacun des époux étant réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive ; que le moyen ne peut être accueilli » ;


Cette décision n’est une surprise pour personne, elle est la parfaite continuité de la jurisprudence antérieure. En effet, en présence d’une ambiguïté rédactionnelle, les juges du fond ont déjà usé de leurs pouvoirs souverains d’appréciation pour déterminer la portée irréfragable d'une telle présomption [2] .


Toutefois, un rappel sur ce point est nécessaire tant il semble être ignoré des époux et parfois des conseils rédacteurs.


Dans les contrats de mariage instituant le régime de la séparation de biens, on trouve une clause dite de "contribution aux charges du mariage" ou appelée par la doctrine clause de "quitus". Cette clause, obligatoire et de style, présente dans les contrats, est proposée par les matrices notariales en deux rédactions différentes :

1 - "Chaque époux est présumé s’être acquitté au jour le jour des charges du mariage" ;

2 - "Chaque époux est présumé s’être acquitté au jour le jour des charges du mariage, de sorte qu’aucun compte ne pourra être fait entre eux au jour de la liquidation".


Aucune différence à première vue ? Et pourtant, par une simple phrase la construction patrimoniale de l’union et plus particulièrement sa liquidation pourrait s’en voir du tout au tout modifiées.


En effet, si en régime de communauté les présomptions des articles 1401 et 1402 du Code civil permettent de "fondre" les acquisitions des époux par leurs gains et salaires communs, le choix et l'essence d'un régime séparatiste n'est pas une coopération patrimoniale entre les époux. Il convient donc ici d'y apporter un éclaircissement.


La première rédaction de cette clause de "quitus" institue une présomption quant à la contribution aux charges du mariage (art. 214 C.Civ), mais une présomption "réfragable ", dans le sens où elle accepte la preuve contraire en cas de contestation par l’un des époux ou des ayants-droits au moment de la liquidation du régime matrimonial.


La seconde rédaction peut instituer, elle, une présomption irréfragable.


Les articles 214 et suivants du Code civil prévoient que les charges du mariage comprennent l'ensemble des dépenses de la vie courante qu'implique la vie en commun : dépenses de logement, nourriture, habillement, santé, éducation des enfants, etc… . Le périmètre assez vaste de cette notion, parfois étendu à des dépenses d'agrément, peut engendrer en cas des conflits des contentieux important si les juges en interdisent la preuve contraire.  


Cette présomption irréfragable est donc défavorable à l’époux sur-contributeur dans le cadre d’un divorce, ou aux héritiers dans le cadre d’un contentieux successoral avec le conjoint survivant.


Mais, en prenant le contre-pied de cette jurisprudence, le contrat de mariage ainsi rédigé pourrait également être un vecteur de protection du conjoint survivant.


En effet, par le jeu de cette clause, les juges ont paradoxalement accordé à un époux séparé de biens la possibilité de sur-financer le logement de la famille et tout autre bien compris dans la notion vague de charges du mariage sans qu’il ne soit due une indemnité à la liquidation du régime.


Si le contrat de mariage des époux est le contrat dans lequel est compris la clause irréfragable, les époux n'auraient pas de recours l'un contre l'autre pour les dépenses de cette nature. Suivant ce raisonnement, il serait ipso facto impossible aux héritiers ou aux créanciers de le prouver également.


Il faudra donc déterminer votre objectif premier : anticipation successorale ou anticipation de la séparation ?


En tout état de cause, d’autres mécanismes permettent de protéger le conjoint, des mécanismes révocables à la liquidation du régime par une cause autre que le décès (ex : le divorce).


L’avantage d’utiliser ce mécanisme, dans une finalité de protection, c’est qu’il échapperait à tous correctifs matrimoniaux et successoraux : il n’y aurait ni créance entre époux ni réduction ni rapport et, jusqu’à preuve du contraire, aucun retranchement. La question de l'enrichissement injustifié et d'une requalification en libéralité fictive pourront se poser, mais encore faudrait-il le prouver.  


Par ces décisions, les juges ont créé un outil de protection et d’anticipation successorale sui generis fondé sur le jeu des présomptions et du régime primaire matrimonial.


Professionnel, vous devez faire la balance des intérêts en présence et, en tout état de cause, bien expliquer aux futurs époux la possible option entre ces deux rédactions et les conséquences liquidatives qui en découleraient.


N’oubliez pas que le défaut de conseil peut être sanctionné [3] .

 

[1] Cour de Cassation, Chambre Civile 1, Audience publique du mercredi 3 octobre 2018, N° de pourvoi : 17-25858, Non publié au bulletin - Rejet Mme Batut (président), président SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s).


[2] Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-21.892 : JurisData n° 2013-020492 ; Cass. 1re civ. 1er avr. 2015, n° 14-14.349 : JurisData n° 2015-006961


[3] Civ. 1re, 3 oct. 2018, n°16-19.619.



réf. : Pôle civil & patrimoine, "Charges du mariage et clause de quitus : attention à la présomption irréfragable", Doctrin'Actu décembre 2018, art. 8

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