Clause bénéficiaire et contrat d'assurance-vie : l'importance rédactionnelle rappelée par la Cour
Dernière mise à jour : 16 mai 2020

Le 19 septembre 2018, la Haute Cour a encore une fois été amenée à se prononcer sur une clause bénéficiaire rédigée en termes ambigus, à savoir « Mes héritiers ». Cette fois, c’est la première chambre civile [1] qui a tranché dans la continuité des arrêts rendus par la deuxième chambre civile.
Les faits sont les suivants : Madame X, souscrit en 2007 un contrat d’assurance-vie et désigne un seul de ses enfants comme bénéficiaire. Un mois plus tard, elle souscrit un second contrat d’assurance-vie en désignant cette fois-ci comme bénéficiaires ses « héritiers ».
Madame X décède, laissant pour lui succéder cinq héritiers. Son fils qui a été désigné, outre bénéficiaire du premier contrat, légataire de la quotité disponible, sa fille, mais également les trois ayants droit de son second fils précédée.
Comme nous pouvons nous en douter à la lecture des faits, un litige survient en ce qui concerne la répartition des capitaux-décès entre les fameux « héritiers » institué par le second contrat.
La Cour d’appel [2] condamne la compagnie d’assurances à verser un tiers des capitaux-décès du second contrat à la fille et un tiers aux ayants droit du fils décédé, en précisant que les dispositions du testament de la défunte léguant « la quotité disponible de ses biens ne font pas perdre à sa sœur et aux ayants droit de son frère, désignés par la loi, leur qualité d’héritiers » et ce même si les capitaux ne font pas partis de la succession en vertu de l’article L.132-12 du Code des assurances.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 132-8 du Code des assurances : « Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, la volonté du souscripteur quant à la répartition du capital garanti, la cour d’appel a privé sa décision de base légale »
Nous pouvons aisément nous accorder sur le fait que la désignation « Mes héritiers » au sein de la clause bénéficiaire la rend dénuée d’intérêt tant celle-ci peut être rédigée librement. Néanmoins, au regard de la loi, cette désignation n’en est pas moins valide, l’article L.132-8 du Code des assurances dispose qu’est considérée comme remplissant la condition de détermination de bénéficiaire la clause rédigée désignant « les héritiers ou ayants de droit de l’assuré ou d’un bénéficiaire prédécédé ». Nous savons également que la mise en pratique stricto sensu d’une loi théorique peut aboutir à des difficultés … En voici la preuve.
En présence d’une telle clause, la Cour de Cassation a érigé une règle de portée générale, à savoir que les juges du fond dans le cadre de leur pouvoir souverain doivent rechercher la volonté du souscripteur, sans s’arrêter à une définition juridique du terme héritier [3].
Ainsi, il est demandé aux juges de troquer leur Code Civil au profit d’une boule de cristal afin de restituer la volonté du défunt à ses proches, mais est-ce vraiment leur rôle ?
Les professionnels participant à la souscription du contrat se devraient d’accorder l’importance qu’elle mérite à la rédaction de la clause bénéficiaire qui constitue sans aucun doute le grand intérêt de l’assurance-vie en ce qu’elle permet de transmettre en profitant d’une fiscalité avantageuse hors succession qu’il existe un lien de parenté ou non.
Afin de respecter précisément la volonté du défunt, tant recherchée, et d’affirmer leur rôle de conseil, les assureurs, les conseils en gestion de patrimoine, les notaires et les avocats qui peuvent en avoir connaissance ne doivent pas prendre cet exercice à la légère, une clause mal rédigée peut être dangereuse en ce qu’elle peut avoir des conséquences importantes sur le patrimoine du bénéficiaire ou/et du prétendu bénéficiaire.
La cour de cassation a dans cette affaire, estimé que seul le fils avait droit au bénéfice du second contrat grâce à un faisceau d’indices, à savoir qu’il avait été le seul avantagé par le bénéfice du premier contrat ainsi que par la quotité disponible, mais pouvons-nous vraiment être certains qu’il s’agit là de la volonté du souscripteur décédé sans écrit clair ? Rien n'est moins sûr.
[1] Cass. Civ. 1, 19 sept. 2018, n°17-23568 : "Attendu que, pour condamner l’AGIPI à payer un tiers du capital de l’assurance sur la vie à Mme Danielle X... et un tiers aux héritiers d’André X... , l’arrêt retient que les dispositions du testament d’Elise B... léguant à M. Christian X... la quotité disponible de ses biens ne font pas perdre à sa soeur et aux ayants droit de son frère, désignés par la loi, leur qualité d’héritiers et n’ont pas d’effet sur cette qualité dès lors que selon l’article L. 132-12 du code des assurances, le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré, de sorte que l’AGIPI et la société Axa avaient l’obligation de partager ce capital par parts égales entre les enfants de la défunte
Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, la volonté du souscripteur quant à la répartition du capital garanti, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé"
[2] Cour d’appel de Chambéry, 21 mars 2017.
[3] Cass. Civ.2, 12 mai 2010, n°09-11256 : "Mais attendu que l'arrêt retient que l'assureur a versé le capital décès à Mme Z... en considération du seul acte de notoriété établi par le notaire sans rapprocher cet acte du contrat dont il avait forcément connaissance en tant que partie et dont il détenait un exemplaire désignant expressément les héritiers de Serge X... en tant que bénéficiaires, et sans interroger ceux-ci sur ou encore le notaire chargé de la succession"
Et Cass. Civ.2, 14 déc.2017, n°16-27206 : "Mais attendu qu'ayant, d'abord, rappelé qu'il résulte de l'article L. 132-8 du code des assurances que le capital ou la rente garantis peuvent être payables, lors du décès de l'assuré, à un ou plusieurs bénéficiaires déterminés ou qui, tels les héritiers de l'assuré, sans être nommément désignés sont suffisamment définis dans la stipulation par laquelle le bénéfice de l'assurance est attribué pour pouvoir être identifiés au moment de l'exigibilité du capital ou de la rente, ensuite, justement énoncé que, pour identifier le bénéficiaire désigné sous le terme d'héritier, lors de l'exigibilité du capital, il convient de ne s'attacher exclusivement ni à l'acception du terme héritier dans le langage courant ni à la définition de ce terme en droit des successions mais de rechercher et d'analyser la volonté du souscripteur, enfin, relevé qu'alors que Stéphanie X... avait, en 1994, désigné notamment ses héritiers comme bénéficiaires du contrat d'assurance sur la vie litigieux, elle avait, quinze ans plus tard, institué le Conseil de fabrique de la paroisse catholique Sainte-Catherine de Bitche en qualité de légataire universel et ses neveux et nièces et petits-neveux et nièces en qualité de légataires particuliers, ce qui démontrait sa volonté de transmettre l'ensemble de ses avoirs au Conseil de fabrique de la paroisse catholique Sainte-Catherine de Bitche sauf exception résultant des legs particuliers et, qu'en outre, il ressortait de pièces issues d'une autre procédure relative à d'autres contrats d'assurance sur la vie, dont le dernier était contemporain du testament, que Stéphanie X... avait pris soin de désigner ses neveux nominativement comme bénéficiaires, ce qui corroborait le fait qu'à la fin de sa vie, lorsqu'elle avait entendu gratifier ses neveux et nièces, elle l'avait fait par des stipulations expresses en leur faveur, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la volonté du souscripteur que la cour d'appel a estimé que, par « héritiers », Stéphanie X... avait entendu désigner, non ses neveux et nièces, mais le Conseil de fabrique de la paroisse catholique Sainte-Catherine de Bitche, ce dont elle a exactement déduit que le capital garanti et ses fruits devaient lui être versés"
réf. : PENAUD (D.). "Clause bénéficiaire et contrat d'assurance-vie : l'importance rédactionnelle rappelée par la Cour", Doctrin'Actu novembre 2019, art. 3