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Communauté universelle et clause alsacienne : Le divorce est-il une préoccupation des futurs époux ?

Dernière mise à jour : 16 août 2019


A l’heure où la jurisprudence caractérise le devoir de conseil du professionnel du droit non pas comme une notion abstraite, mais comme un véritable accompagnement des clients dans leurs choix juridiques, une vigilance toute particulière doit être portée par ces derniers.


Récemment, les juges de la Haute Cour ont condamné un notaire qui n’avait pas suffisamment alerté les futurs époux « sur la portée, les effets et les risques des régimes matrimoniaux pouvant répondre à leurs préoccupations » (Civ. 1re, 3 oct. 2018, n°16-19.619 [1]).


Une interrogation légitime doit être posée : est-ce que ce raisonnement est transposable dans d’autres situations de faits connexes ?

Quid par exemple de la responsabilité du notaire rédacteur qui ne ferait pas preuve d'une pédagogie suffisante quant aux risques liés à l'adoption d’une clause de communauté universelle à l’aune d’un éventuel divorce ? La jurisprudence est variable sur ce sujet.


La Cour d’appel de Toulouse a, par un arrêt du 27 février 2012, répondu à cette interrogation en condamnant le notaire conseil à verser à l’ex-époux des dommages intérêts conséquents pour ne pas avoir pris en compte dans l’acte de changement de régime matrimonial une éventuelle séparation (Cour d’Appel Toulouse 1re chambre, 1re section, 27 février 2012 n°11-00.291 [2])


Quelques années plus tard les juges de la Cour de cassation ont pu estimer que la perte de chance induite de la faute du notaire sur un même point était "minime" car, au moment de l’élaboration du régime matrimonial, la question du divorce n’était pas la préoccupation majeure des futurs époux (Cass. Civ. 1re, 30 avril 2014 n°13-16.380 [3]).


Mais comment appréhender la préoccupation des époux lors de la rédaction de la convention ; doit-on  l’analyser in concreto ou in abstracto ? Objectivement, ne peut-on pas estimer que le divorce est une préoccupation générale des futurs mariés ?

Selon l’Insee en 2016, 128 000 divorces ont été prononcés, soit 4 400 divorces de plus qu’en 2015. Les réformes récemment adoptées par le législateur de "simplification" de la procédure de divorce ne vont pas faire diminuer ce chiffre.


Cette « préoccupation » de la séparation, pour reprendre le verbe des juges, si elle n’est pas exprimée clairement par le couple, devra toujours être présente dans l’esprit du professionnel.


En effet, lorsque la conclusion d’un régime conventionnel vient modifier substantiellement l’architecture du patrimoine personnel des époux, ne pas prévoir une dissolution anticipée de son régime est une erreur qui pourrait coûter cher [4].


La clause de communauté universelle ainsi insérée dans le contrat de mariage permettra aux époux de faire entrer en communauté tous leurs biens présents et à venir, quels que soient la date, le mode et le montant du financement des acquisitions. Dans cette configuration ne resteront propres que les biens répondant à la définition de l’article 1404 du Code Civil.


Si le régime conventionnel de la communauté universelle avec adjonction d’une clause d’attribution intégrale apparaît comme l’ultime outil matrimonial permettant aux époux de se protéger mutuellement au premier décès, la confusion quasi-totale des patrimoines n’est pas opportune lors d’une liquidation du régime pour cause de divorce.


Dans le cadre d’un divorce, il est systématiquement prévu dans les conventions et jugements qu’au visa de l’article 265 du Code Civil [5] : "la présente décision/convention emportera révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux et des dispositions à cause de mort qu’ils ont pu accorder envers leur conjoint par contrat de mariage ou pendant l’union".


Il est depuis longtemps admis que le choix du régime matrimonial, et notamment l’ajout d’une clause de communauté universelle, peut caractériser, en soit, un avantage matrimonial (Cass. Civ. 19 octobre 1983, n°82-12.046 [6]).


Mais l’avantage que constitue le simple choix d’une communauté universelle, contrairement à une clause d’attribution intégrale ou à une clause de préciput, développera ses effets dès la conclusion de la convention.


Alors, une question se pose : quid de la révocation des avantages matrimoniaux ayant pris effet pendant l’union ?


L’article 265 du Code Civil s’est vu à deux fois modifié par les loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce et la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités. L’article nouvellement réécrit prévoyait alors que :


« Le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage.

Le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime ou au décès de l'un des époux ».


C’est la loi du 23 juin 2006 qui est venue ajouter le dernier aliéna, prévoyant que les époux pourront contractuellement aménager la reprise de leurs biens propres, biens qui auront été apportés à la communauté par le jeu de la convention matrimoniale.


La clause de reprise des apports ou "clause alsacienne" était alors consacrée par le législateur. Néanmoins, on le rappelle, cette clause est une faculté contractuelle, et non pas une obligation rédactionnelle légale.


Une telle clause permettra à l'époux apporteur de biens propres de les récupérer sans contrepartie en cas de divorce. Cette "reprise des propres" se fera sous la réserve des droits des tiers et des éventuelles récompenses dues à la communauté à raison de leurs améliorations.


Est-ce que le notaire rédacteur ou l’avocat conseil qui l’occulte pourront se voir reprocher leur défaut de conseil par l’ex-époux divorcé qui aura perdu une partie de son patrimoine propre ? Nous l'avons vu, la réponse ne semble pas être clairement tranchée par la jurisprudence, et relève avant tout de considérations factuelles.

Toutefois, il n’est pas aberrant au regard des statistiques et d’une étude sociologique de la société actuelle, de développer une analyse in abstracto des "préoccupations" matrimoniales et d’y inclure un éventuel divorce.


Professionnels du droit faites attention ; il vaut mieux ne pas prendre le risque et systématiquement inclure cette clause de liquidation alternative pour les dissolutions autres que les dissolutions par décès.


Parce que prévention est mère de sureté, le modèle anglo-saxon du "mariage avec divorce inclus", n’est peut-être pas une idée à proscrire. Prévention ou fatalisme ? Le débat est ouvert.


 

[1] « Le notaire chargé de rédiger le contrat choisi par des futurs époux est tenu, non pas de les informer de façon abstraite des conséquences des différents régimes matrimoniaux, mais de les conseiller concrètement au regard de leur situation, en les éclairant et en appelant leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des régimes matrimoniaux pouvant répondre à leurs préoccupations » Civ. 1re, 3 oct. 2018, n°16-19.619.


[2] Cour d’appel de Toulouse 1re chambre, 1re section 27 Février 2012, répertoire général : 11/00291, numéro d’arrêt : 98, numéro JurisData : 2012-007258.


[3] « Or, il résulte de ce qui précède que la préoccupation principale des époux, au jour de leur mariage, était de pouvoir protéger au mieux le conjoint survivant. Il est donc peu plausible que M. X... aurait adopté un régime matrimonial autre que la communauté universelle, même s'il avait été parfaitement informé des conséquences de ce régime en cas de divorce. On peut en effet admettre que la question du divorce n'était manifestement pas la préoccupation majeure des époux à la veille de leur mariage. » Cass. Civ. 1re, 30 avril 2014 n° de pourvoi: 13-16380.


[4] Arnaud CERMOLACCE Professeur à l'université de Lorraine : L’anticipation du divorce - JCP Notariale et immobilière n°49- 7 Décembre 2012, 1387.


[5] Article 265 du Code Civil : "Toutefois, si le contrat de mariage le prévoit, les époux pourront toujours reprendre les biens qu'ils auront apportés à la communauté".


[6] « Mais attendu que l’article 267-1 précité dispose que, si le divorce est prononce aux torts partages, chacun des époux peut révoquer tout ou partie des avantages qu’il avait consentis a l’autre ; Que ce texte, rédigé en termes généraux, a vocation a s’appliquer, comme l’article 1527 du code civil, a tous les avantages que l’un des époux peut tirer des clauses d’une communauté conventionnelle et, notamment, de l’adoption du régime de la communauté universelle » Cass. Civ. 19 octobre 1983, n°82-12.046.



réf. : Pôle civil & patrimoine, "Communauté universelle et clause alsacienne : Le divorce est-il une préoccupation des futurs époux ?", Doctrin'Actu novembre 2018, art. 2

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