COVID-19 et le report des élections municipales : quid de la gouvernance des communes et des EPCI ?
La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 comprend quatre titres :
Titre I portant sur l’état d’urgence sanitaire,
Titres II portant sur les mesures d’urgence économique et d’adaptation à la lutte contre l’épidémie de COVID-19,
Titre III consacré aux dispositions électorales,
Titre IV consacré au contrôle parlementaire.
Ce texte vise à donner une traduction législative aux mesures annoncées par le Chef de l’État et le Gouvernement et ainsi faire face à la crise sanitaire majeure que notre pays traverse. Nous allons principalement nous pencher sur les mesures relatives à la gouvernance, à l’organisation et au fonctionnement des collectivités territoriales et leurs groupements (titre III).
Pour chacune des subdivisions mentionnées ci-après, deux cas de figure identiques se présentent :
un premier tour des élections municipales le 15 mars 2020 a suffi pour élire un maire et son conseil municipal,
aucun candidat n’a été élu, un second tour des élections municipales est donc nécessaire.
De prime abord, cette présentation coule de source, paraît claire et efficace… Il en a été décidé autrement par les parlementaires qui n’ont pas épargné les intercommunalités dont la gouvernance, pour les prochaines semaines, sera bordée de complexités juridiques.
I. La gouvernance des communes
A. Premier cas : les communes dont le conseil municipal a été élu le 15 mars 2020 lors du premier tour
Les résultats du premier tour des élections municipales restent acquis. Les conseillers municipaux n’entreront en fonction qu’à une date fixée par décret (avant le 27 mai 2020), normalement et au plus tard au mois de juin 2020.
Jusqu’à cette date du mois de juin 2020, à ce jour inconnue,
les mandats du maire et de ses adjoints en fonction la veille du premier tour sont prolongés. Il en va ainsi de leurs délégations ;
et, plus largement, les mandats des élus en fonction la veille du premier tour (élus de 2014) sont eux aussi prolongés. De même pour leurs délégations.
Étant ici précisé que le mandat des représentants de la commune au sein d’organismes de droit public ou de droit privé est prorogé jusqu’à la désignation de leurs remplaçants par le conseil municipal.
La première réunion du conseil municipal aura lieu au plus tôt 5 jours après la date d’entrée en fonction des nouveaux conseillers municipales et au plus tard 10 jours après cette même date qui sera, je le répète, fixée par décret avant le 27 mai 2020.
B. Second cas : les communes dont le conseil municipal n’a pas été élu le 15 mars 2020 lors du premier tour (nécessité d’un second tour)
En principe, les résultats du premier tour des élections municipales restent acquis. Les conseillers municipaux entreront en fonction au lendemain au second tour dont la date sera fixée par décret avant le 27 mai 2020.
Toutefois, si, pour des raisons de crise sanitaire, le second retour devait être reporté au-delà de juin, un scrutin complet (deux tours) devrait alors être organisé, pour les communes dans lesquelles le premier tour n’a pas été décisif.
Jusqu’à cette date du mois de juin 2020, à ce jour inconnue,
les mandats du maire et de ses adjoints en fonction la veille du premier sont prolongés jusqu’au second tour. Il en va ainsi de leurs délégations ;
et, plus largement, les mandats des élus en fonction la veille du premier tour (élus de 2014) sont eux aussi prolongés jusqu’au second tour. Leurs délégations sont également prolongées.
Là encore, le mandat des représentants de la commune au sein d’organismes de droit public ou de droit privé est prorogé jusqu’à la désignation de leurs remplaçants par le conseil municipal.
II. La gouvernance des intercommunalités
A. Les EPCI dont tous les conseils municipaux ont été élus le 15 mars 2020 lors du premier tour
En principe, les résultats du premier tour des élections municipales restent acquis pour les conseillers communautaires et métropolitains.
Par dérogation aux dispositions de l’article L.5211-8 du Code général des collectivités territoriales, les mandats des conseillers communautaires et métropolitains expireront lors de l’entrée en fonction des conseillers municipaux élus le 15 mars 2020 dont la date sera fixée par décret avant le 27 mai 2020.
Jusqu’à cette date, aujourd’hui encore inconnue, le président et vice-présidents conservent leurs délégations.
B. Les EPCI dans lesquels des conseils municipaux n’ont pas été élus le 15 mars 2020 lors du premier tour (nécessité d’un second tour)
En principe, les résultats du premier tour des élections municipales restent acquis pour les conseillers communautaires et métropolitains.
Attention, les choses se complexifient encore. Deux dates sont à retenir :
Jusqu’à la date d’entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour (soit, au lendemain du second tour prévu au mois de juin 2020 dont les précisions seront apportées par décret avant le 27 mai 2020), le conseil communautaire est uniquement composé des « anciens » élus de 2014 pour qui leur mandat et leur délégation sont prolongés ;
Depuis cette date jusqu’à l’installation du nouveau conseil communautaire (soit, au plus tard le troisième vendredi suivant le second tour de scrutin), la gouvernance du conseil communautaire sera mixte avec : o les conseillers communautaires nouvellement élus pour les communes dont le conseil municipal a été élu le 15 mars 2020 (sans qu’un second tour soit nécessaire) ; o et, pour les communes dont le conseil municipal n’a pas été élu le 15 mars 2020 à l’issue du premier tour, les « anciens » conseillers communautaires de 2014 dont le mandat a été prolongé.
Étant ici précisé que l’organe délibérant entièrement renouvelé se réunira au plus tard le troisième vendredi suivant le second tour de scrutin.
Là encore, le mandat des représentants de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre au sein d’organismes de droit public ou de droit privé est prorogé jusqu’à la désignation de leurs remplaçants par le conseil communautaire ou métropolitain.
Le président et les vice-présidents en exercice lors de l’entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus le 15 mars 2020 sont maintenus dans leurs fonctions jusqu’à l’installation du nouveau conseil entièrement renouvelé et conservent leurs délégations jusqu’à l’installation du nouveau conseil entièrement renouvelé.
De toutes ces précisions (A et B), une question reste en suspens : quid des délégations des conseillers communautaires ? Un espoir est posé sur leur maintien car il serait dommage de prévoir une prolongation de mandat sans prolongation des délégations…
Voici une nouvelle occasion manquée du législateur qui rendra, à coup sûr, la gouvernance des intercommunalités nettement plus complexes…
III. Quid de la gestion des affaires courantes ?
Entre les résultats des élections municipales et le premier conseil municipal (pour les EPIC : suivant le renouvellement général des conseils municipaux et en attendant la mise en place des nouvelles équipes intercommunales), les équipes en place dans les collectivités sont chargées de la seule gestion des affaires courantes.
Par gérer les affaires courantes de la collectivité il faut entendre assurer la continuité du service public (CE, 21 mai 1986, Sté Schlumberger, n° 56848). Il n’existe pas de liste exhaustive de ce qui relève ou non de la gestion des affaires courantes. À titre d’exemple, a été considérée comme permettant d’assurer la continuité du service public la délibération portant sur la passation d’un marché pour la fourniture de compteurs d’eau en vue d’assurer la continuité du fonctionnement d’un OPHLM (Ibid.). À l’inverse,
l’adoption du budget d’une collectivité ne saurait être considérée comme une décision qui relève de la gestion des affaires courantes (CE, 3 juin 1998, Préfet de la Haute-Corse, n° 169403),
la conclusion d’un marché public en période électorale ne relève pas de la gestion des affaires courantes d’une collectivité (CAA Paris, 18 mai 2018, n° 17PA01631),
la conclusion d’avenants ne relève pas non plus de la gestion courante (Rép. min. n° 12527 : JO Sénat 25 sept. 2014, p. 2210 ; JO Sénat 14 juill. 2014, p. 1700).
Pouvons-nous considérer que nous sommes dans cette période transitoire qui oblige les collectivités à ne traiter que les affaires courantes ?
Oui - Pour les communes dont le conseil municipal a été élu à l’issue du premier tour qui s’est tenu le 15 mars. En effet, pour elles, nous sommes entre les résultats des élections et l’installation du premier conseil municipal. Ce qui nous amène à penser que ces collectivités ne pourraient gérer que les affaires courantes.
Non - Pour les communes dont le conseil municipal n’a pas été élu à l’issue du premier tour le 15 mars 2020 et pour lesquelles un second tour est nécessaire. Bien que les résultats du premier tour soient, pour l’instant, acquis, ils ne sont pas définitifs en ce que le second tour peut inverse la tendance en faveur du candidat arrivé deuxième au premier tour par exemple.
Pour ces collectivités, la lecture de la loi nous laisse imaginer qu’elles ne seraient pas dans la période transitoire de gestion des affaires courantes et pourraient reprendre le cours normal de leurs activités…
Je laisse le débat ouvert... et tire mon chapeau aux collectivités pour qui les prochaines semaines risquent d’être difficiles.
réf. : CRÉPEL (H.), "COVID-19 et le report des élections municipales : quid de la gouvernance des communes et des EPCI ?", Doctrin'Actu mars 2020, Dossier spécial Covid-19, art. 3