Covid-19 : l’élargissement des pratiques de télésanté

Face à l’épidémie grandissante du Covid-19, de nombreuses dispositions qui ajustent temporairement le droit commun ont été adoptées afin de s’adapter à l’état d’urgence sanitaire. La médecine et le soin, qui détiennent évidemment une place centrale dans la gestion de cette crise, ne font pas exceptions à cela.
La pratique de la télésanté, jusqu’alors perçue principalement comme un outil d’homogénéisation de la santé sur le territoire révèlent dans la situation sanitaire actuelle une autre utilité : celle de limiter le contact physique au strict nécessaire pour éviter la propagation d’une épidémie. En effet, ces pratiques permettent de réduire les déplacements des patients et des professionnels de santé ainsi que le contact des médecins avec les patients suspectés d’infection par le Covid-19. En cela, la pratique de la télésanté est fortement encouragée par les pouvoirs publics et a déjà fait l’objet de plusieurs dérogations sur le fondement de l’article L.3131-16 du code de la santé publique (CSP) qui concerne l’état d’urgence sanitaire créée par la loi du 16 mars 2020, dite « d’urgence sanitaire ».
Elargissement général des outils de télésanté
En temps normal, la télésanté ne peut s’exercer qu’à l’aide de certains outils numériques référencés par le ministère des solidarités et de la santé [1].
Pour permettre au plus grand nombre de profiter de la télésanté, l’article 8 de l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire dispose : « les professionnels de santé assurant la prise en charge par télésanté des patients suspectés d'infection ou reconnus covid-19 recourent à des outils numériques respectant la politique générale de sécurité des systèmes d'information en santé et la réglementation relative à l'hébergement des données de santé ou, pour faire face à la crise sanitaire, à tout autre outil numérique ».
Ainsi, exceptionnellement, les professionnels de santé pourront réaliser des vidéotransmissions dans le cadre de leur activité de télésanté en utilisant des outils de communication « grand public » (facetime ou whatsapp par exemple), qui ne disposent pas nécessairement de solution de télésanté.
Les dérogations propres à la télémédecine
La télémédecine se décline en 5 actes médicaux : la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance, la téléassistance et la réponse médicale. Elle va faire l’objet de plusieurs dispositions pour être exercée un maximum et de manière optimale pendant la période épidémique.
Elargissement des règles de remboursement pour la téléconsultation
Selon l’article R.6316-1 du CSP, la téléconsultation « a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient ». La téléconsultation répond aux mêmes règles de remboursement que les consultations classiques. Comme lors de ces dernières, le médecin peut effectuer un diagnostic, des prescriptions mais il reste tenu de réclamer au patient de se rendre à son cabinet ou à l’hôpital s’il estime que sa prise en charge nécessite des examens qui ne peuvent s’effectuer à distance.
L’article 1, 3° du décret n° 2020-227 du 9 mars 2020 adaptant les conditions du bénéfice des prestations en espèces d'assurance maladie et de prise en charge des actes de télémédecine pour les personnes exposées au Covid-19 constitue une dérogation aux règles établies par l’avenant n°6 de la convention médicale, signée par les partenaires conventionnels – assurance maladie et syndicats de médecin – et qui établit les modalités d’exercice et de prise en charge de la télémédecine.
En effet, l’article 28.6.1 de la convention médicale conditionne le remboursement des téléconsultations au respect du parcours de soin et à la rencontre préalable entre le médecin téléconsultant et le patient. Cela signifie donc d’abord que le patient doit normalement avoir désigné et consulté au préalable son médecin traitant qui se chargera de le diriger vers un autre professionnel si nécessaire et coordonnera l’ensemble de son parcours de soin. Il est également exigé, en principe, que le patient ait déjà rencontré le médecin téléconsultant dans les 12 mois précédant la téléconsultation.
Après l’entrée en vigueur du décret susmentionné, les téléconsultations auprès des patients atteints ou suspectés d’être atteint par le Covid-19 sont remboursées à taux plein par la sécurité sociale même s’il s’agit d’une consultation effectuée hors du parcours de soin ou d’une première rencontre avec le professionnel téléconsultant.
Revalorisation des consultations à distance par les sages-femmes.
L’article 8, IV de l’arrêté du 23 mars 2020 valorise le remboursement des consultations à distance par les sages-femmes « à hauteur d’une téléconsultation classique ».
Assouplissement des règles relative à la téléconsultation dans les procédures d’IVG
L’arrêté du 14 avril 2020 complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire va prendre des mesures en ce qui concerne les procédures d’IVG pendant l’épidémie. Au-delà du rallongement des délais de l’IVG par voie médicamenteuse, cet arrêté va permettre d’effectuer toutes les étapes de la procédure de ce dernier à distance.
En effet, le médicament nécessaire à la réalisation d’un IVG par voie médicamenteuse pourra, pendant la période d’épidémie, être récupéré par la patiente elle-même en pharmacie et être pris la première fois au cours d’une téléconsultation avec le médecin ou la sage-femme qui lui a prescrit. L’arrêté permet alors au médecin ou à la sage-femme de transmettre la prescription par voie numérique à l’officine choisie par la patiente qui ira s’y procurer soi-même le médicament. Ces dispositions constituent une dérogation à l’article R. 2212-17 du CSP.
Elargissement des règles entourant la prise en charge de la téléexpertise
La téléexpertise consiste à « permettre à un professionnel médical de solliciter à distance l'avis d'un ou de plusieurs professionnels médicaux en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières » (art. R. 6316-1 CSP). Cette pratique permet un gain notable en termes de qualité de soin. Elle est prise en charge par l’assurance maladie dans certaines situations définies par les partenaires conventionnelles à l’article 26.8.2. de la convention médicale : Affection longue durée, désert médical, maladie rare, prise en charge des personnes âgées en EHPAD et prise en charge des personnes détenues. Les actes de téléexpertise sont remboursés dans la limite d’un certain nombre d’actes par an.
Les dispositions du décret du 9 mars 2020 précité élargissent temporairement cette prise en charge à la téléexpertise dans le cadre d’une prise en charge de patient atteint ou présentant des symptômes d’une infection au Covid-19. Le texte prévoit également que, dans ce cadre, les facturations ne répondront à aucune limite quantitative.
Assouplissement des conditions de participation aux expérimentations de télésurveillance pour les personnes atteintes d’insuffisance cardiaque chronique (ICC)
La Télésurveillance médicale permet « à un professionnel médical d'interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d'un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient » (art. R. 6316-1 CSP). Toujours au stade de l’expérimentation dans le cadre de l’article 54 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, la télésurveillance médicale apporte un double avantage ; pour le patient d’abord, puisqu’elle favorise le maintien ou le retour à domicile mais aussi pour les établissements de santé et médico-sociaux puisqu’elle permet de désengorger les services.
Les personnes atteintes d’ICC pouvaient jusqu’alors participer à ces expérimentations à condition d’avoir été hospitalisées soit dans les 30 jours précédant la télésurveillance, soit dans les 12 mois sous certaines conditions développées par le cahier des charges de l’expérimentation. L’article 8, V de l’arrêté du 23 mars dernier permet de déroger à cette condition et ouvre donc l’accès à la télésurveillance à un plus grand nombre de patients atteints d’ICC.
Le développement du télésoin
La notion de télésoin est une notion encore très récente puisqu’elle est apparue dans le CSP à l’occasion de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé qui définit cette pratique comme « une forme de pratique de soins à distance utilisant les technologies de l'information et de la communication. Il met en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux dans l'exercice de leurs compétences » (art. L. 6316-2 du CSP). Le cadre réglementaire restait encore à établir au début de l’épidémie et les expériences de télésoin dans le cadre du Covid-19 sont donc inédites.
Mise en place du télésuivi infirmier pour les patients atteints du Covid-19
L’article 8, II. de l’arrêté du 23 mars 2020 pose les règles du télésuivi infirmier des patients « dont le diagnostic d'infection à Covid-19 a été posé cliniquement ou biologiquement ». Il dispose ensuite que « le télésuivi infirmier participe, sur prescription médicale, à la surveillance clinique des patients suspectés d'infection ou reconnus atteints du Covid-19 ». Ce télésuivi se réalise de préférence par vidéotransmission. Toutefois, contrairement à la téléconsultation, il peut être assuré par téléphone, si la vidéotransmission s’avère impossible.
Pour accompagner les professionnels dans le développement de cette pratique, le ministère de la santé a élaboré une fiche d’information spécifique au télésuivi dans le cadre du Covid-19 [2].
L’arrêté prévoit également une valorisation des actes de télésuivi à hauteur de la cotation AMI 3.2 (tarif d’un acte technique) et renvoie à l’avis du 16 mars 2020 [3] de la Haute Autorité de Santé, qui fixent les conditions de remboursement de l’acte.
Mise en place des actes d’orthophonistes, d’ergothérapeutes et de psychomotriciens à distance
L’article 8, VI et VII de l’arrêté susmentionné organise également la mise en place des actes des orthophonistes, ergothérapeutes et psychomotriciens à distance, ainsi que leur prise en charge par la sécurité sociale. A l’inverse du télésuivi infirmier, la vidéotransmission est indispensable.
Le télésoin ne peut également avoir pour objet l’établissement d’un bilan initial ou le renouvellement d’un bilan. De plus, il est « conditionné à la réalisation préalable, en présence du patient, d’un premier soin » par le professionnel télésoignant. C’est également ce dernier à qui il revient d’apprécier la pertinence du recours au télésoin.
Enfin, l’arrêté du 23 mars précise que « pour les mineurs de 18 ans, la présence d'un des parents majeurs ou d'un majeur autorisé est nécessaire. Pour les patients présentant une perte d'autonomie, la présence d'un aidant est requise ».
Des dispositions limitées dans le temps
Toutes les dispositions dérogatoires citées ici ne sont applicables que de manière temporaire pour répondre à l’état d’urgence sanitaire.
Ainsi les dispositions de l’article 8 de l’arrêté du 23 mars et celles de l’arrêté du 14 avril ne sont applicables que jusqu’au 11 mai 2020, celles du décret du 9 mars le sont jusqu’au 30 avril 2020.
Néanmoins, bien que ces dispositions concernent en majorité les patients atteints ou présentant des symptômes du Covid-19 et soient toutes destinées à s’éteindre après l’état d’urgence sanitaire, elles constituent une opportunité pour le développement de la télésanté. En effet, ces dispositions permettent une augmentation de la pratique télémédicale et permettent des premières expériences de télésoin qui pourront s’avérer très enrichissantes.
Ces expériences seront sans aucun doute bénéfiques dans le futur développement du cadre réglementaires des activités de télésanté, qui représentent une opportunité considérable en termes de qualité et d’accès au soin.
[1] Solutions numériques de télémédecine recensées par le ministère disponibles ici ;
[2] Fiche de télésuivi infirmier du Ministère des solidarités et de la santé disponibles ici ; [3] Avis de la HAS du 16 mars 2020.
réf. : DERVITE (H.), « Covid-19 : l’élargissement des pratiques de télésanté », Doctrin’Actu avril 2020, Dossier spécial Covid-19, art. 18