Covid 19 ou l’impossible protection de l’enfance

Dans les circonstances particulières que nous connaissons actuellement, nous nous sommes demandés ce qu’il advient réellement de la protection de l’enfance. Il convient tout d’abord de rappeler que la protection de l’enfance ne se limite pas au placement d’enfants au sein de foyers ou de familles d’accueil, elle est bien plus ample et contient de nombreux dispositifs d’accompagnements social, psychologique, éducatif,… des familles, mais également les dispositifs de signalement de situations préoccupantes. Il y a divers acteurs de la protection de l’enfance, les 2 principaux sur lesquels nous nous concentrerons ici sont le juge des enfants et le conseil départemental.
Pour le juge des enfants, en temps de confinement, son rôle est fortement restreint, il ne traite que des extrêmes urgences, plus concrètement cela signifie qu’il ne prend des décisions concernant uniquement des mesures d’éloignement. Le prononcé de suivi éducatif n’aurait pas de sens dans ce contexte où les visites à domicile ne sont pas envisageables. La situation de crise sanitaire, a un impact négatif sur la gestion des cabinets des juges des enfants, les délais d’attente étaient déjà importants avant la crise, et ils ne seront qu’allongés suite à celle-ci de part le retard accumulé et la prise en charge de nouvelles situations familiales. Une tentative de télétravail est réalisée néanmoins la difficulté de numérisation des dossiers et la nécessité d’une connexion hautement sécurisée pour protéger les données sensibles font obstacle à un réel travail de fond des juges des enfants, qui se sentent souvent démunis dans ce contexte.
Sur le terrain la situation n’est pas meilleure. En effet, les travailleurs sociaux sont quasiment à l’arrêt. Afin de protéger les mineurs, les intervenants et les familles, les visites à domiciles des travailleurs sociaux sont supprimées, le suivi physique est remplacé par des suivis téléphoniques et des visioconférences quand cela est possible, ce qui est rarement le cas pour la visioconférence. Or, comme le rappelle si bien Mme Danet, consultant en ressources humaines, « le visuel sur un écran plat d’ordinateur nous donne très peu d’indications sur l’état physique et psychologique » [1]. Contrairement à ce que nous pouvons penser, les écrans conservent la distance physique. Les échanges par ce mode de communication nécessite de la part des travailleurs sociaux une vigilance accru pour rendre compte des difficultés existantes au sein des familles ; tous les éléments doivent être pris en compte comme indicateurs de la situation de enfants : les mots, le timbre de voix, les silences,… une complexité rendant la détection de mal être ou même de maltraitance quasi impossible. D’autres mesures sont suspendues en raison des problématiques sanitaires qu’elles engendre. C’est notamment le cas des retours dans les familles le week end pour les mineurs placés. Néanmoins, un service minimum est assuré, avec une permanence des travailleurs sociaux dans leur lieu de travail habituel afin de pouvoir répondre aux urgences. De plus, lorsqu’un retour définitif dans les familles était envisagé, et qu’un travail en amont avait été effectué, ce retour est avancé afin que le mineur soit en confinement au sein de sa famille, conformément aux préconisations de M. Taquet, Secrétaire d’Etat auprès du Ministre des Solidarités et de la Santé.
Face à cette situation, les réponses du gouvernement sont limités, toutefois, récemment l’assemblée nationale a voté l’interdiction de sortie des dispositifs de l’Aide sociale à l’enfance de chaque mineur atteignant sa majorité durant la période de crise du Covid-19. En outre, le dispositif d’appel du 119 pour les enfants battus est maintenu 7/7j et 24/24. Des consignes de sécurités ont été transmises par des communiqués du Secrétaire d’Etat auprès du Ministre des Solidarités et de la Santé [2].
Malgré tout, l’inquiétude des professionnels de la protection de l’enfance persiste et la prise en charge des situations relevant de la protection de l’enfance à la sortie de cette crise sanitaire questionne profondément les professionnels de ce secteur, qui ne disposeront pas de moyens suffisants pour répondre efficacement et rapidement face à un afflux de cas.
[1] Régine Danet, « Comment manager à distance en période de COVID19 ? », du 27 mars 2020, publié sur Linkedin. [2] Tous les communiqués sont consultables en pdf ici.
réf. : GIRARD (P.), "Covid 19 ou l’impossible protection de l’enfance", Doctrin'Actu avril 2020, Dossier spécial Covid-19, art. 13