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Enfance délinquante : le 1er octobre 2020, l’ordonnance du 2 février 1945 ne sera plus…


L’ordonnance n°2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs [1] porte abrogation de la très célèbre et fondamentale ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante [2]. Si l’annonce est importante, l’abrogation n’est toutefois pas immédiate. Il faudra attendre le 1er octobre 2020, soit encore un an, pour que le code de la justice pénale des mineurs – véritable serpent de mer du droit pénal des mineurs – entre en vigueur.


Cette ordonnance portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs a été prise sur le fondement de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. S’il s’agit bien d’une réforme dans le domaine de l’enfance délinquante notamment s’agissant de l’épineuse problématique du discernement, ce code inédit rappelle les principes généraux applicables depuis 1945 à la justice pénale des mineurs. En effet, la primauté de l’éducatif sur le répressif est à nouveau affirmée [3], la spécialisation de la justice des mineurs rappelée. Enfin, l’atténuation de la responsabilité pénale en fonction de l’âge du mineur est bien évidemment maintenue.


La partie législative du code de la justice pénale des mineurs fait aussi preuve d’avancées et ce, en matière de discernement. Le titre préliminaire de ce code intitulé Des principes généraux de la justice pénale des mineurs comprend en son chapitre 1er nommé Des principes généraux du droit pénal applicable aux mineurs l’article L. 11-1 ainsi rédigé : « Lorsqu’ils sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l’article 388 du Code civil [4], sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils sont reconnus coupables. Les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d’au moins treize ans sont présumés être capables de discernement. » Ainsi, comme nous l’avions annoncé dans notre précédent article [5], la France a bel et bien fixé l’âge minimal de la responsabilité pénale de ces mineurs.


Rappelons-nous à présent nos premières heures de cours magistral de droit pénal général, temps où nous apprenions que la loi pénale devait être claire, précise, accessible et prévisible. Ces caractéristiques, conséquences directes pour le législateur du principe de légalité des délits et des peines si cher à Cesare Beccaria, sont pourtant régulièrement oubliées … la clarté du texte est bien souvent sacrifiée sur l’autel de la précipitation et d’une réactivité affichée. Or, en l’espèce, la critique que nous pouvons formuler à l’encontre de l’article précité du très jeune code de la justice pénale des mineurs n’est pas celle d’un manque de clarté mais plutôt d’un excès de zèle atteignant son paroxysme par une formulation tautologique.


L’article L. 11-1 débute par une référence à l’article 388 du Code civil qui, pour rappel, dispose que « Le mineur est l 'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans. ». Ce parallèle avec le droit civil s’agissant de la notion de minorité en droit positif français n’apparait pas réellement nécessaire. Mais admettons sa présence au cas où effectivement la précision serait essentielle… La définition de la notion ou plus exactement du concept de discernement aurait été plus salutaire et utile aux sujets de droit que nous sommes ; nous ne pouvons que regretter cette absence.

L’article poursuit en précisant que les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Avant d’ajouter, pour le moins inutilement, que les mineurs âgés d’au moins treize ans sont présumés être capables de discernement. En effet, la seule mention que les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement sous-tend logiquement que les mineurs de treize ans et plus sont présumés en être capables. La rédaction tautologique de l’article L.11-1 du code de la justice pénale des mineurs est à déplorer ; elle ne sert nullement l’intérêt de la loi et vient confirmer la tendance à la médiocre qualité de la loi pénale.


Enfin, ce code porte simplification de la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants [6]. A ce titre, notons notamment que désormais, dans le délai maximal de trois mois suivant l’infraction, le juge des enfants ou le tribunal pour enfants statuera sur la culpabilité du mineur et sur l’indemnisation du préjudice des victimes [7]. Cette notion de temps est fondamentale s’agissant des mineurs à l’encontre desquels il est important de rapidement fixer les conséquences de l’acte commis. Autre nouveauté à relever, après la déclaration de culpabilité et avant le prononcé de la sanction, s’ouvrira une période de mise à l’épreuve éducative [8] : sous le contrôle du juge des enfants, le mineur sera suivi par un éducateur pour une durée de six ou neuf mois. C’est à l’issue de cette période qu’un jugement sur la sanction sera rendu. Une mesure éducative ou une peine pourra être prononcée à l’encontre du mineur délinquant. Au titre des peines, le juge des enfants aura la possibilité de prononcer des peines à portée éducative telles que le travail d’intérêt général pour les mineurs âgés de seize à dix-huit ans au moment du prononcé de la sanction pour des faits commis alors qu’ils étaient âgés d’au moins treize ans au moment des faits [9], la confiscation de l’objet utilisé ou obtenu par la commission de l’infraction [10] ou encore des stages [11] avec des adaptations en raison de la minorité du condamné.


La partie législative du Code de la justice pénale des mineurs d’ores et déjà dévoilée atteste de la prise de conscience de la désuétude des mesures de l’ordonnance du 2 février 1945 pourtant modifiée pas moins de quarante fois depuis son entrée en vigueur. Nul doute toutefois que d’ici à son application le 1eroctobre 2020, le code de la justice pénale des mineurs fera encore parler de lui. Il y a, en effet, fort à parier que des ajustements seront nécessaires pour s’adapter plus encore à la particularité de cette délinquance contre laquelle il convient de lutter au mieux et avec les meilleurs moyens pour réfréner la surpopulation carcérale de demain.

 

[1] Ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs - NOR : JUSX1919677R – JORF du 13 septembre 2019 – texte 2 sur 148

[2] Ordonnance n°45-174 du 2 février 1945, relative à l’enfance délinquante, JORF du 4 février 1945, p. 530-534

[3] Article préliminaire du Code de la justice pénale des mineurs : « Le présent code régit les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale des mineurs est mise en œuvre, en prenant en compte l’atténuation de cette responsabilité en fonction de leur âge et la nécessité de rechercher leur relèvement éducatif et moral par des mesures adaptées à leur âge et leur personnalité́, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées. »

[4] Article 388 du Code civil, modifié par Loi n°2016-297 du 14 mars 2016 - art. 43

[5] JEANPIERRE (V.), "Responsabilité pénale du mineur : la France prête à fixer un âge minimal", Doctrin'Actu juillet 2019, art. 77

[6] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs - NOR : JUSX1919677P – texte 1

[7] Article L. 413-7 2° du Code de la justice pénale des mineurs

[8] Article L.521-1 et s. du Code de la justice pénale des mineurs

[9] Article L. 122-1 du Code de la justice pénale des mineurs

[10] Article L.122-4 du Code de la justice pénale des mineurs

[11] Article L.122-5 du Code de la justice pénale des mineurs



réf. : JEANPIERRE (V.), "Enfance délinquante : le 1er octobre 2020, l’ordonnance du 2 février 1945 ne sera plus…", Doctrin'Actu octobre 2019, art. 95

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