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Entre COVID-19 et droit commun des contrats : la notion de force majeure


Résumé : Très récemment, le gouvernement a décidé d’un confinement quasi-total de la population en raison de l’épidémie de COVID-19. Ce confinement entrave le monde économique et son principal outil, le contrat, va en être bouleversé sous l’angle de la force majeure.


1. COVID-19 et force majeure. Le COVID-19, acronyme de coronavirus disease 2019, est un nouveau coronavirus apparu le 17 novembre 2019 en Chine et qui s’est propagé très rapidement dans de nombreux pays européens dont la France. Le gouvernement français a donc décidé très récemment de confiner la population en n’autorisant les déplacements que pour quelques motifs bien précis [1]. Cet état de crise sanitaire n’est pas sans conséquences sur le monde économique. Le COVID-19 risque d’empêcher l’exécution de nombreux contrats et les débiteurs seront fortement tentés d’invoquer la force majeure pour se délier de leurs paroles. Reste qu’il faut être bien vigilant sur l’usage de cette notion.


En droit commun des contrats, la force majeure est très bien définie par l’article 1218 nouveau du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Il s’agit d’un « évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, [qui] empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » [2]. L’élément fondamental de la force majeure est l’impossibilité d’exécution [3], par le débiteur, de son obligation à raison d’un évènement qui présente certains caractères.


2. Date d’appréciation. La question qui va se poser en première intention est celle de la date d’appréciation de la force majeure. Pour grossir le trait, à quel moment peut-on considérer que le COVID-19 est un évènement possédant les caractéristiques de la force majeure ? Il faut en réalité simplement savoir si le virus et ses conséquences empêchent le débiteur de s’exécuter. Si le débiteur est dans l’impossibilité de s’exécuter à cause des effets du virus sur la santé ou sur la société [4], alors il est opportun de rechercher si le COVID-19 est ou non un évènement présentant les caractères de la force majeure. Cela lui permettra alors de s’exonérer de sa responsabilité contractuelle [5] et de se libérer de son obligation [6]. Si le débiteur peut s’exécuter, alors il est inutile de procéder à cette recherche. Prenons deux exemples concrets qui illustrent très bien les données du problème.


Dans un premier cas, un particulier décide le 1er janvier 2020 de prendre à bail un appartement sur AirBnb du 20 au 23 mars 2020. Dans cette hypothèse, il est évident que le bailleur ne peut pas délivrer son bien au particulier : mesures de confinement oblige, le locataire et le bailleur ne peuvent pas se rendre dans l’appartement loué pour une remise des clefs. Ainsi, le COVID-19 empêche le débiteur de s’exécuter et il est donc pertinent d’analyser si cet évènement présente les caractères de la force majeure.


Dans un second cas, le particulier décide le 1er janvier 2020 de prendre en location l’appartement mais du 17 au 27 juin 2020. Cependant on ignore si, à la date d’exécution du contrat de location, le COVID-19 existera toujours et s’il empêchera à ce moment le débiteur de s’exécuter. Pour le moment, le débiteur n’est pas empêché dans l’exécution de son obligation parce qu’il ne doit pas encore s’exécuter. Autrement dit, la question de la force majeure ne se pose pas puisque le débiteur n’est pour l’instant pas empêché dans l’exécution de son obligation à la date convenue.


En définitive, il faut commencer par regarder si le débiteur de l’obligation est dans l’impossibilité ou non de s’exécuter. Cette condition est de pure logique : un débiteur ne peut arguer de la force majeure que s’il ne peut pas fournir la prestation due à son créancier.


3. Caractères de la force majeure : extérieure. Pour pouvoir être qualifié de force majeure, l’évènement doit tout d’abord échapper au contrôle du débiteur : c’est le critère d’extériorité, repris dans le nouveau Code civil [7], qui doit se comprendre comme une extériorité au pouvoir du débiteur et non à sa personne [8]. Dans le cas du COVID-19, il ne fait aucun doute que celui-ci échappe au contrôle du débiteur car il échappe à tout contrôle humain. Autrement dit, ce virus sera toujours considéré comme un évènement échappant au contrôle du débiteur. La Cour de cassation a d’ailleurs déjà reconnu que la maladie d’un débiteur puisse consister pour lui un cas de force majeure [9], donc un événement extérieur.


4. Caractère de la force majeure : imprévisible. Ensuite, l’évènement doit être raisonnablement imprévisible au moment de la conclusion du contrat. En d’autres termes, les parties n’ont raisonnablement pas pu prévoir lors de la formation du contrat que l’évènement allait empêcher l’exécution d’une obligation contractuelle. La logique de cette condition est rappelée par le rapport remis au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 : si l’évènement était prévisible lorsque le contrat s’est formé, alors le débiteur s’est engagé en connaissance de cause. Cela signifie que si l’épidémie de COVID-19 préexiste à la formation du contrat, il ne saurait y avoir d’évènement imprévisible [10]. Prenons à nouveau deux exemples concrets.


Le premier cas est celui évoqué auparavant : le particulier décide le 1er janvier 2020 de prendre en location un appartement sur AirBnb du 20 au 23 mars 2020. Il est évident qu’à la date de conclusion du contrat, le 1er janvier 2020, aucune des parties ne pouvait raisonnablement prévoir que le virus et ses conséquences allaient empêcher l’exécution du contrat. En clair, l’évènement est imprévisible. En revanche, si le particulier décide de prendre la location le 19 mars pour un séjour qui aura lieu du 20 mars au 23 mars 2020, la solution n’est pas identique. Au jour de la conclusion du contrat, le 19 mars, les deux parties savaient pertinemment que les effets du virus, dont le confinement, allaient empêcher la délivrance de la chose louée. Autrement dit, dans ce cas précis, l’évènement n’est pas imprévisible mais il est au contraire prévisible. Le COVID-19 ne présenterait pas ici les caractères de la force majeure.


L’appréciation de l’imprévisibilité se fait in abstracto [11], c’est-à-dire par rapport à une personne raisonnable. Toute la question est donc de savoir à partir de quel moment une personne raisonnable pouvait penser que l’épidémie de COVID-19 allait empêcher l’exécution de son contrat. Plusieurs dates sont imaginables et la réponse dépend évidemment du contrat en question : ce peut être la date d’arrivée du virus en Chine ou en France, la date à laquelle l’Organisation mondiale de la santé en a fait un risque grave [12], etc. En définitive, l’appréciation de l’imprévisibilité du COVID-19 est une affaire de casuistique, qui relèvera de l’appréciation souveraine des juges du fond.


À titre d’exemple, la société Airbnb a modifié le 15 mars 2020 sa politique relative à la force majeure comme suit : elle considère que toute réservation faite au plus tard le 14 mars 2020 peut être annulée [13] sans frais [14]. La date de prévisibilité est donc pour eux le 14 mars 2020, soit trois jours après que l’Organisation mondiale de la santé ait qualifié l’épidémie de COVID-19 de pandémie mondiale. Si la réservation est postérieur au 14 mars 2020, alors cette politique de force majeure ne s’applique pas : l’on retombe dans l’hypothèse où un débiteur s’engage en connaissance de cause et où il ne peut y avoir d’imprévisibilité.


5. Caractères de la force majeure : inévitable. Enfin, les effets de l’évènement doivent être inévitables, c’est-à-dire que des mesures appropriées ne peuvent permettre d’éviter ces effets. Il faut donc déterminer quels sont les effets du COVID-19 et si ceux-ci peuvent être évités par des mesures appropriées.

D’une part, ce virus a un effet sur la santé. Dans cette hypothèse, le débiteur sera alors atteint de COVID-19. Étant donné qu’aucun traitement n’a encore été trouvé, il est évident que le débiteur atteint de ce virus ne peut pas éviter l’effet de celui-ci sur la santé.


D’autre part, il a eu pour effet un confinement quasi-total de la population. Ce confinement ne peut être évité que pour des cas limitativement prévus par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 : dans ces cas limitatifs, l’effet de confinement créé par le COVID-19 est évitable et il n’y a alors pas de force majeure.


6. Prudence est mère de sûreté. Pour conclure, il convient d’être éminemment prudent. Prudent car la force majeure peut ou non être reconnue pour le COVID-19 selon les cas. Mais surtout prudent car le virus se propage à une vitesse impressionnante. Aussi : restons chez nous, sauvons des vies.


 

[1] Décret n° 2020-260, 16 mars 2020, portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19.

[2] C. civ., art. 1218, al. 1er.

[3] CABRILLAC R., Droit des obligations, Dalloz, 13e éd., 2018, n° 159, p. 162 ; LARROUMET C. (dir.), Traité de droit civil, t. 3, Les obligations. Le contrat, par BROS S., LARROUMET C., Economica, 9e éd., 2018, n° 723, p. 773.

[4] C’est-à-dire le confinement.

[5] C. civ., art. 1231-1.

[6] C. civ., art. 1351.

[7] En ce sens : CABRILLAC R., op. cit., n° 156, p. 161 ; CHÉNEDÉ F., LEQUETTE Y., SIMLER P., TERRÉ F., Droit civil. Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2019, n° 752, p. 816 ; DESHAYES O., GENICON T., LAITHIER Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, LexisNexis, 2eéd., 2018, p. 537. Contra : HONTEBEYRIE A., « Quelques incidences de la réforme du droit des obligations en matière de responsabilité civile », Dr. et patr. juin 2016, p. 58.

[8] ANTONMATTEI P.-H., Contribution à l’étude de la force majeure, thèse, LGDJ, 1992, préf. TEYSSIÉ B., nos 49 et s.

[9] Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168 : Bull. ass. plén., n° 5, p. 9.

[10] En ce sens, pour le virus du chikungunya : CA Saint-Denis de la Réunion, ch. soc., 29 déc. 2009, n° 08/02114.

[11] CABRILLAC R., op. cit., n° 157, p. 161 ; LARROUMET C. (dir.), op. cit., n° 723, p. 773.

[12] GUIOMARD P., « La grippe, les épidémies et la force majeure en dix arrêts », Dalloz actualité, 4 mars 2020.

[13] Il faut comprendre par « annulation » la résolution du contrat de location.

[14] À condition que le séjour ait lieu entre le 14 mars et le 14 avril. C’est ici une référence implicite à l’impossibilité d’exécution pour le débiteur : il est évident que pendant cette période d’un mois, aucun contrat de bail ne pourra être exécuté. Au-delà il est trop tôt pour le dire, ce qui signifie qu’aucun débiteur de contrat de location prenant effet à partir du 15 avril 2020 n’est dans l’impossibilité d’exécuter ses obligations.


réf. : NIVERT (A.), "Entre COVID-19 et droit commun des contrats : la notion de force majeure", Doctrin'Actu mars 2020, Dossier spécial Covid-19, art. 4

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