Focus sur la propagande électorale, son cadre et ses enjeux
Dernière mise à jour : 29 août 2019

A la veille des élections municipales, il apparait opportun de revoir brièvement les règles régissant la propagande électorale – entendue comme les « initiatives des candidats pour tenter de convaincre les électeurs de leur donner leur suffrage » [1] –, à la lumière d’un échantillon des décisions rendues par la juridiction administrative à propos des précédentes élections municipales.
Pour mémoire, l’article L. 48-2 du code électoral dispose qu’il « est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ».
L’article 49 du même code dispose pour sa part qu’ :
« A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents.
A partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est également interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ».
Ainsi, sur le fondement de ces dispositions, le juge administratif saisi d’une requête tendant à la contestation des opérations électorales va apprécier in concreto si les faits soumis à son attention constituent des éléments de propagande nouveaux auxquels la liste adverse n’aura pas été en mesure de répondre et, partant, une manœuvre susceptible d’avoir porté atteinte à la sincérité du scrutin entraînant l’annulation des élections correspondantes [2].
Nous verrons à l’appui des jugements et arrêts cités ci-après que le juge administratif prend également en considération l’écart du nombre de voix obtenues par les différentes listes de candidats pour déterminer la réalité de l’atteinte portée à la sincérité du scrutin.
Par souci de praticité, et sans originalité, nous allons distinguer les outils traditionnels (mais pas encore désuets) de propagande électorale (I) des outils des listes des candidats 2.0 (II).
I. LA COMMUNICATION TRADITIONNELLE
1. La réunion
En application de l’article 47 du code électoral, l’encadrement des réunions électorales est régi par les lois du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion et du 28 mars 1907 relative aux réunions publiques.
Les problématiques liées à l’organisation de réunions publiques sont de deux ordres :
d’une part, la mise à disposition d’une salle par la commune, dans le respect du principe d’égalité entre les candidats des différentes listes.
A titre d’illustration, il n’y a pas de rupture d’égalité entre les candidats des différentes listes lorsque la mise à disposition d’une salle à une liste de candidats n’a été rendue possible que les vendredi soir et qu’il n’est même pas « allégué » par le protestataire que la liste opposée aurait « bénéficié d’un plus grand nombre de possibilités de réservation ou d’horaires plus favorables » (Tribunal administratif de Lyon, 24 juin 2014, n° 1402164).
La rupture d’égalité entre lesdits candidats n’est pas non plus qualifiée lorsque le protestataire allègue que la mise à disposition d’une salle de réunion lui a été refusé pour des motifs erronés alors même que la salle n’était pas libre dans le créneau horaire sollicité et que le protestataire a pu par ailleurs bénéficier de la mise à disposition de cette salle la veille à partir de 17h00 (Tribunal administratif de Grenoble, 26 juin 2014, n° 1401982).
d’autre part, la période pendant laquelle peuvent être réalisées de telles réunions.
Sur ce point, le Conseil d’Etat n’a pas manqué de rappeler par un arrêt lu le 10 juin 2015 (n°386062) [3] sur le fondement des articles L. 47, L.48-2-2 et L. 49 du code électoral que si les réunions électorales sont tenues librement, l’organisation d’une réunion en fin de campagne par un candidat tête-de-liste ne peut être l’occasion « de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale auquel ses adversaires ne pourraient plus répondre utilement » ni lui permettre de distribuer un document de propagande électorale la veille du scrutin.
Bien plus, et puisqu’en application de l’article R. 26 du code électoral [4] la campagne électorale prend fin la veille du scrutin à minuit, le Conseil d’Etat en conclut qu’aucune réunion électorale ne peut être tenue le jour même du scrutin.
Raisonnable, le juge administratif a considéré dans l’arrêt précité que la réunion en cause ne constituait pas une réunion électorale au sens des dispositions et prescriptions précitées et n’avait pas exercé d’influence sur les résultats du scrutin eu égard à « son objet, son horaire et aux conditions de son déroulement ». En effet, cette réunion avait été organisé le 30 mars, jour du second tour des élections, à 19 heures, entre un candidat tête-de-liste, les autres candidats de ladite liste, les électeurs intéressés et sympathisants aux fins de prendre connaissance ensemble des résultats du scrutin.
2. Les tracts
Le juge administratif lillois s’est prononcé sur la distribution d’un tract à 1340 exemplaires, l’avant-veille du second tour des élections municipales dans une commune d’environ 3200 habitants par un candidat tête-de-liste.
Ces tracts avaient pour objet une réunion qui s’était tenue entre d’une part, un autre candidat tête-de-liste d’une liste présente au second tour et d’autre part, le candidat tête-de-liste d’une liste de candidats non présente au second tour et ayant obtenu plus du quart des suffrages exprimés.
Les tracts critiquaient d’une part des accords prétendument passés à l’insu de colistiers qui auraient autorisés le candidat tête-de-liste auquel le tract était attribué à dénoncer ces manœuvres et indiquaient d’autre part que lesdits colistiers voteraient pour ce candidat.
Le juge administratif lillois a considéré que la distribution « massive » de ce tract, contenant notamment un élément nouveau de polémique électorale, constituait une manœuvre de nature à fausser les résultats du scrutin compte tenu du faible écart de voix (six) entre les deux listes présentes au second tour et a prononcé en conséquence l’annulation des opérations électorales (Tribunal administratif de Lille, 18 juin 2014, n° 1402216).
Confirmant le juge de première instance, le Conseil d’Etat a relevé en appel [5] que « le tract litigieux [avait] introduit un nouvel élément dans le débat électoral qui ne [pouvait] être regardé comme la reprise de faits déjà connus des électeurs et qui a été de nature à tromper les électeurs ».
Bien plus, le juge d’appel confirme que l’impossibilité matérielle pour la liste adverse de répliquer et le faible écart de voix constaté permettait de conclure que la diffusion dudit tract était de nature à « altérer les résultats du scrutin » justifiant en conséquence l’annulation des opérations électorales (Conseil d'État, 9ème sous-section jugeant seule, 1er décembre 2014,n°382740, Inédit au recueil Lebon).
Dans une autre affaire, le tribunal administratif de Toulon, à propos de tracts présentant « un caractère injurieux et/ ou diffamatoire, ou dont le contenu dépass[ait] les limites admissibles de la polémique du fait de leur violence », a précisé de manière pédagogue que des tracts ne pouvaient être « constitutifs de manœuvres de nature à altérer la sincérité du scrutin que s’ils ont influencé sensiblement le vote des électeurs, eu égard au faible écart final de voix recueillies par les différents candidats, en introduisant un élément nouveau de polémique à brève échéance de l’élection par une diffusion tardive et massive, empêchant ainsi toute réplique utile des personnes mises en cause ; que si des tracts litigieux n’ont été diffusés qu’en réponse à des tracts de même nature émanant du protestataire, ils ne peuvent être regardés comme constitutifs de manœuvres, particulièrement en présence d’un écart de voix important ».
Dans cette espèce, le tribunal administratif a pris en considération la nature très violente de la campagne électorale constituée par des abus de propagande électorale provenant de plusieurs candidats de différentes listes, l’absence de caractère nouveau de la polémique électorale et constaté un important écart des voix, à savoir 367 voix représentant 13,36 % des suffrages exprimés, pour rejeter la protestation électorale portée devant lui (Tribunal administratif de Toulon, 26 juin 2014, n° 1401299, confirmé par son juge d’appel : Conseil d'État, 3ème / 8ème SSR, 8 juin 2015, n°383057, Inédit au recueil Lebon).
3. Les circulaires
Le premier alinéa de l’article R. 27 du code électoral prescrit que « Les affiches et circulaires ayant un but ou un caractère électoral qui comprennent une combinaison des trois couleurs : bleu, blanc et rouge à l'exception de la reproduction de l'emblème d'un parti ou groupement politique sont interdites ».
Saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge administratif toulonnais s’est prononcé sur le refus de la commission communale de la commune de Toulon d’acheminer les exemplaires de la circulaire d’une candidate aux élections municipales aux motifs que celle-ci violait les prescriptions susvisées.
Le texte de la circulaire était majoritairement imprimé en noir, et certains passages étaient imprimés en caractères gras et bleu. De plus, une photographie de la candidate la représentait avec un foulard rouge.
Le juge des référés-libertés a jugé que ce rappel vestimentaire n’était pas « rouge au sens et pour l’application » des prescriptions précitées, et qu’au demeurant la circulaire contenait d’autres couleurs que celles prescrites par l’article précité.
Plus important, le juge administratif est venu rappeler que l’article R. 27 du code électoral précité a pour objet « d’éviter que les couleurs utilisées par un candidat dans sa profession de foi puissent laisser penser aux électeurs que celle-ci présenterait un caractère officiel », confusion ne pouvant être établie dans l’espèce soumise à son appréciation.
Pour les férus de procédure administrative contentieuse (et ne doutant pas qu’ils existent), on peut noter que le juge des référés a pris le soin, après avoir qualifié l’atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale constituée par « celle pour un citoyen de se présenter à l’élection à l’assemblée délibérante d’une collectivité locale dans des conditions qui respectent le principe d’égalité entre les candidats », de motiver l’urgence du prononcé de mesures nécessaires à la sauvegarde de cette liberté dans le délai de 48 heures.
En effet, l’urgence résultait de ce qu’en application de l’article R. 34 du code électoral, la date limite d’envoi des documents électoraux était fixée « au mercredi précédant le premier tour de scrutin », soit le 19 mars 2014, quatre jours seulement après le prononcé de son ordonnance par ledit juge des référés dans cette affaire. C’est pourquoi ce dernier s’est empressé, ainsi que le permet son office sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre à la commission de propagande électorale de procéder à la diffusion par voie postale de la profession de foi de la liste correspondante pour le premier tour des élections municipales (Tribunal administratif de Toulon, 15 mars 2014, n° 1400984).
4. Les radios et télévision
Nous ne nous attarderons pas sur ce point puisque seul le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (le « CSA ») est compétent pour réguler la communication et de la propagande à des fins électorales sur les chaînes de télévisions et les radios.
Il conviendra de se reporter à la délibération du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique en période électorale et de s’assurer que le CSA n’adoptera pas de délibération spécifique aux élections municipales de 2020.
II. LA COMMUNICATION 2.0
1. Le site internet ou blog
La communication en ligne doit respecter les dispositions citées en introduction [6].
Aussi, la publication sur un site internet ou un blog la veille du scrutin méconnait en principe les dispositions précitées, sauf à ce que la publication en cause, bien que tardive, ne soit pas constitutive d’un élément nouveau de propagande.
A titre d’illustration, le tribunal administratif de Marseille a jugé qu’une publication mettant en cause les qualités et les compétences d’une liste de candidats, appelant à voter pour une liste et menée jusqu’à l’issue du scrutin du premier tour des élections municipales ne constituait pas un élément de propagande nouveau susceptible de créer une confusion dans l’esprit des électeurs (Tribunal administratif de Marseille, 26 mai 2014, n° 1402462).
2. Les réseaux sociaux
La particularité des réseaux sociaux résulte sans surprise de la vitesse avec laquelle les candidats peuvent y publier des commentaires.
Le juge administratif y adapte son raisonnement en conséquence.
Ainsi, la veille du scrutin, un maire sortant avait diffusé sur twitter un message critiquant l’évaluation réalisée par le candidat tête-de-liste d’une liste adverse et relative au coût de réalisation d’un équipement public décidé par la municipalité sortante. Par ailleurs, un autre candidat tête-de-liste avait diffusé le même jour deux messages appelant ses destinataires à voter pour une autre liste qui serait présente au second tour.
Le Conseil d’Etat a considéré qu’en raison, d’une part, de ce que le contenu de ces trois messages ne constituait pas un élément nouveau de polémique électorale et d’autre part, de l’écart important des voix comptabilisés pour les deux listes de candidats au second tour (494 voix [7]), cette diffusion n’avait pas été de nature à altérer les résultats du scrutin (Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 11 mai 2015, 386033, Inédit au recueil Lebon).
Dans une autre affaire, le tribunal administratif d’Amiens a considéré que la présentation de la page Facebook personnelle du maire sortant, candidat, et intitulée « Mairie de Hermes », son référencement sur le moteur de recherches Google à une très grande proximité du site institutionnel de la commune, les liens existants entre cette page Facebook et le site internet officiel de la commune ainsi que le contenu à caractère institutionnel de la page, constituaient autant d’éléments qui ont pu être source de confusion pour les électeurs avec l’outil de communication institutionnel de la commune.
Le tribunal administratif note encore que la fréquentation de cette page (le juge d’appel précisera qu’il a été démontré 53 connexions entre le 5 et le 12 mars 2014) et l’écart de 5 voix entre les listes de candidats a été de nature à altérer la sincérité du scrutin et justifiait l’annulation des opérations électorales (Tribunal administratif d'Amiens, 10 juin 2014, n° 1400987 confirmé par Conseil d'État, 10ème / 9ème SSR, 6 mai 2015, n° 382518).
Enfin, et pour conclure, il est opportun de garder à l’esprit qu’à compter du 1er septembre 2019, toute promotion publicitaire relatives aux réalisations ou à la gestion de la commune sera interdite en application de l’article L. 52-1 du code électoral.
[1] Laurent Touvet, Yves-Marie Doublet, Droit des élections¸corpus droit public, §335
[2] A noter que l’annulation de l’élection constitue le pouvoir ultime du juge administratif. Il pourra en effet neutraliser les erreurs et/ou irrégularités constatées dans le décompte des voix. Il ne procèdera à l’annulation des opérations électorales si l’instruction de l’affaire ne permet pas de déterminer la répartition régulière et sincère des suffrages. C’est le cas, notamment, lorsque les faits portés à sa connaissance sont constitutifs de manœuvres tendant à altérer la sincérité du scrutin.
[3] A noter que cet arrêt, confirmant la décision du juge de première instance (Tribunal administratif de Versailles, 27 octobre 2014, n° 1402519), est également intéressant à propos de la notion d’élément nouveau de propagande s’agissant de la diffusion de tracts
[4] Pour un exemple d’application, voir également Tribunal administratif de Rennes, 1er octobre 2014, n° 1401720