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L’hybridité pour la reconquête de la biodiversité : l’obligation réelle environnementale

Dernière mise à jour : 26 août 2019


Depuis une vingtaine d’années, la France a entrepris la reconquête de la biodiversité et de protection du patrimoine naturel. En effet, la problématique n’est pas nouvelle et déjà en 1997, un premier rapport intitulé « La protection conventionnelle des espaces naturels en droit français et comparé » sera remis au Ministère de l’environnement. Celui-ci suivi par deux autres études, l’une commandée à la société française pour le droit à l’environnement en 2004 [1] et l’autre pour l’introduction en droit français d’une servitude conventionnelle ou d’une obligation propter rem de protection de l’environnement [2], pourraient constituer la genèse de l’obligation réelle environnementale.


Dorénavant, l’introduction en droit français des obligations réelles environnementales est devenue effective grâce à la loi L. n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. A ce titre l’article L132-3 du Code de l’environnement dispose que « les propriétaires de biens immobiliers peuvent conclure un contrat avec une collectivité publique, un établissement public ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l’environnement en vue de faire naître à leur charge, ainsi qu’à la charge des propriétaires ultérieurs du bien, les obligations réelles que bon leur semble, dès lors que de telles obligations ont pour finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d’éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques (…) ».


Ainsi comme le souligne M. Reboul-Maupin « L’obligation réelle environnementale se rattache à une autre philosophie, « alternormative » : à la logique autoritaire et descendante publique, elle substitue une démarche ascendante et négociée, où les propriétaires, au lieu d’en être la cible, deviennent les auteurs de la norme écologique crée »[3]. En effet, elle se rattache à une autre philosophie puisque dans un premier temps, le contrat remplace les mesures de police administrative en la matière, et dans un second temps, elle lie des personnes mais en considération d’un bien (intuitu rei) qu’elle accompagne automatiquement à travers les différentes mutations de propriété.


Dès lors, l’obligation réelle est une obligation « hybride » puisqu’elle se situe entre deux pôles : les droits réels d’une part et les droits personnels d’autre part. On peut définir cette obligation réelle comme « celle qui pèse sur une personne en sa qualité de propriétaire d’un fonds ou de titulaire d’un droit réel »[4]. A titre d’exemple, l’auteur relève les articles 655 et 663 du Code relatifs, réciproquement, à l’obligation du propriétaire d’un mur mitoyen et l’obligation du propriétaire d’une clôture forcée.


On pourrait in fine rattacher trois apports à une telle consécration.


Tout d’abord, l’obligation réelle est un gage de pérennité des engagements puisqu’elle se rattache à un fonds, un bien. Dans un tel cas, la prestation doit être réalisée par celui qui maitrise le bien, et non seulement celui qui a souscrit l’engagement. Autrement dit, le débiteur d’une pareille obligation n’est plus simplement celui qui aura souscrit l’engagement mais aussi et a priori, tous les ayants cause. Encore, l'obligation réelle permettrait de grever un fonds, et d'obliger les propriétaires successifs de ce dernier en matière environnementale.


Ensuite, l’obligation réelle environnementale se passe de la présence d’un fonds dominant. A ce titre, depuis de nombreuses années l’idée de « servitudes environnementales » voyait le jour, notamment par analogie aux Etats-Unis à travers les « servitudes de conservation »[5]. Or les servitudes mettent en présence un fonds servant et un fonds dominant, et dans le cadre d’une obligation réelle environnementale, il était justement très délicat de trouver ce fonds dominant puisqu’il faut prouver que le service foncier bénéficie à un héritage voisin.


Enfin, le troisième apport réside dans sa dimension volontaire. L’obligation réelle environnementale n’est plus relative à un mécanisme de police administrative et donc à un mécanisme imposé. Dès lors, cette obligation semble adaptée à toutes les situations, notamment les espaces délaissés par la réglementation.

Mais alors, fondamentalement quelle est la nature d’une telle obligation liant une personne en considération d’un bien, dès lors que cette obligation accompagnera automatiquement les différentes mutations de la propriété ?


Nous voyons donc que cette obligation manifeste un caractère hybride à n’en plus douter. L’obligation réelle environnementale invite à franchir les frontières classiques des droits réels et des droits personnels dans un finalité de « maintien, conservation, gestion ou restauration d’éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques », en somme dans une finalité environnementale. C’est donc, l’immeuble qui sert effectivement de point d’ancrage à l’obligation à ceci près que c’est la biodiversité (animale, végétale) « immobilisée » qui constitue l’objet de la prestation environnementale [6].


Au regard de la nature d’une telle obligation, il convient de constater que l’analyse d’une telle obligation en droit réel a d’abord été rejetée (I), afin de voir que la qualification de droit personnel propter rem a été retenue (II).


I. Le rejet de l’obligation réelle environnementale comme un droit réel


Il était tentant de faire une analogie avec les servitudes de conservation (conservation easements) pratiquées outre-Atlantique, mais force est de constater que terminologiquement et techniquement, la référence à ces servitudes parait inadaptée.


Terminologiquement, dans un premier temps, l’article 637 du Code civil dispose qu’« une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l’usage ou l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire », tout en rappelant à l’article 686 du même code que « les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n’aient rien de contraire à l’ordre public ». Le texte est limpide ici, puisqu’il énonce qu’une servitude « du fait de l’homme » est une charge réelle grevant la propriété d’un bien.


Dans un deuxième temps, les servitudes en droit français se rapportent à deux fonds : le fonds servant et le fonds dominant. Or comme le constate A. Denizot « le vêtement de la servitude paraît, pour l’heure, mal taillé pour ces restrictions écologiques imposées au propriétaire, puisqu'il n'existe nul fonds dominant dans cette figure »[7]. A cet égard, aucune référence n’est faite à l’article L. 132-3 du Code de l’environnement, seulement « une charge qu’assume le propriétaire ». En d’autres termes, l’obligation réelle environnementale s’éloigne des servitudes, en ce sens qu’elle n’exige pas de fonds dominant, mais seulement une charge assumée par le propriétaire.


Techniquement, l’obligation réelle environnementale postule pour des obligations positives, c’est-à-dire par exemple des obligations d’entretien et/ou de restauration de sites naturels. L’avantage indéniable de ces obligations positives tient au fait qu’elles sont considérées, ici, à titre principal et non à titre accessoire. Au mieux, les servitudes ne peuvent créer que des obligations « de ne pas faire », alors que les obligations positives, « de faire » ne seront ici que l’accessoire de l’obligation principale, celle de ne pas faire. Pour exemple, lorsque le propriétaire d’un fonds servant accepte l’obligation de faire des travaux nécessaires à la conservation et à l’usage de la servitude de passage ; l’obligation acceptée ne vient que compléter (à titre accessoire) la charge principale qui est l’obligation de passage.


Dès lors, l’obligation réelle environnementale ne peut être analysée comme un droit réel, en raison, d’une part de sa liaison personnelle avec le propriétaire du bien, et d’autre part, du rejet d’une telle obligation comme une servitude, donc comme un droit réel.


Il faut alors se pencher sur la question des droits personnels, puisque cette obligation, finalement, est construite sur un tel modèle (II).


II. La qualification de l’obligation réelle environnementale en droit personnel propter rem


L’obligation réelle environnementale engage une personne en raison d’une chose dont elle a la maitrise. Il faudra peut-être voir ici, que non seulement sont visés les propriétaires mais aussi les divers titulaires de droit réels démembrés.


L’originalité d’un tel mécanisme est sans nul doute le fait qu’une telle obligation ne grève pas en tant que tel le bien, mais le patrimoine du « propriétaire-débiteur ». Pour s’en convaincre, nous soulignerons que, cette obligation est rattachée passivement à la personne titulaire du droit de propriété sur l’immeuble. Elle n’est donc pas attachée à la chose elle-même, ni à sa détention, mais à un droit et en l’espèce, un droit de propriété.

De ces considérations, deux avantages semblent se dégager.


D’une part, elle fait peser la charge sur les propriétaires ou les titulaires de droit réels successifs du bien. Structurellement, si ce modèle est novateur en droit français, il ne l’est pas pour autant au regard des droits voisins. Le droit suisse connait une figure analogue à ce l’obligation réelle sous l’appellation de « charge foncière »[8].


Cette solution aura le mérite de conserver la finalité de l’obligation, à savoir la conservation, la préservation, la restauration de l’environnement, indépendamment des différents sujets de droit.


D’autre part, l’obligation réelle met à la charge du débiteur des obligations positives, telles que l’entretien des infrastructures écologiques, la restauration de la qualité des sols, la pratique d’une agriculture biologique etc… Or c’est justement l’une des principales finalités, si ce n’est la principale, que de mettre à la charge des débiteurs des obligations positives et plus simplement négatives, d’abstention. Dès lors que ces obligations seront conformes aux objectifs légaux, tous types d’obligations pourront être conçues par les parties. Outre les obligations négatives comme le fait de ne pas polluer, de ne pas détruire l’environnement, de ne pas épandre telle substance…), une place prépondérante est faite aux obligations positives telles que la gestion, la restauration, la préservation.


Alors finalement quel est l’intérêt d’un tel mécanisme pour les propriétaires puisque ces derniers acceptent de s’engager à grever leur bien sans aucune contrepartie ?


Tout d’abord, des mesures fiscales incitatives ont été mises en place en France, notamment par le biais de l’article L132-3 du Code de l’environnement.

Il prévoit d’une part, que pourront être exonérés de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, les propriétaires ayant conclu une obligation environnementale. Cependant, cette exonération est laissée à la libre appréciation des communes.


D’autre part, l’article dispense de droit d’enregistrement et de taxe de publicité foncière pour les contrats établissant une obligation réelle environnementale.


Mais l'obligation réelle environnementale peut aussi présenter un intérêt en soi pour le propriétaire parce que l’obligation réelle peut être mise en place à des fins de compensation. Celle-ci est définit par l’article L. 163-1 du Code de l’environnement qui dispose que « Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité sont les mesures prévues au 2° du II de l'article L. 110-1 et rendues obligatoires par un texte législatif ou réglementaire pour compenser, dans le respect de leur équivalence écologique, les atteintes prévues ou prévisibles à la biodiversité occasionnées par la réalisation d'un projet de travaux ou d'ouvrage ou par la réalisation d'activités ou l'exécution d'un plan, d'un schéma, d'un programme ou d'un autre document de planification.

Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes. Elles ne peuvent pas se substituer aux mesures d'évitement et de réduction. Si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n'est pas autorisé en l’état ».


La compensation sera donc mise en place lorsque des atteintes à la biodiversité ne peuvent être évitées ou réduites. A cet égard pourrait-on, se poser la question de la totale adéquation d’un tel mécanisme avec les principes de prévention et de précaution du droit de l’environnement ?


Cependant, la consécration de l’obligation réelle environnementale comme mesure compensatoire est en soi une bonne nouvelle pour l’environnement. Finalement, dans un esprit purement moral, l’obligation réelle environnementale ne pourrait-elle pas être le fondement de la compensation écologique, en ce sens, qu’un propriétaire/maître d’ouvrage après l’acceptation de la compensation, parce que justement il n’a pas réussi à éviter ou à réduire les pertes nettes de biodiversité, s’engage, à l’égard de ce bien objet de la compensation, à une obligation réelle environnementale ? Dès lors, les pertes nettes de biodiversité seraient compensées directement par les diverses obligations à caractère environnemental tenant à cette obligation réelle.


 

[1] Cette étude donnera lieu à un rapport de G. J. Martin sur la « Gestion concertée des espaces naturels », qui ne sera malheureusement pas repris.


[2] V. G. J. Martin, « Pour l’introduction en droit français d’une servitude conventionnelle ou d’une obligation propter rem de protection de l’environnement », RJE 2008, n° spécial, p. 123.


[3] N. Reboul-Maupin, « Les obligations réelles environnementales : chronique d’une naissance annoncée », Recueil Dalloz, 2016, p. 2074.


[4] L. Michon, « Des obligations propter rem dans le Code civil », Thèse. Nancy, 1981 ; J. Scalpel, « L’obligation réelle », préf. P. Jourdain, PUAM, 2002


[5] M. Mekki & M. Boutonnet, "Environnement et conservation easements - Pour une transposition en droit français ?", JCP 2012, I., 1023.


[6] Article 1163 du Code de l’environnement


[7] A. Denizot, « Obligation réelle environnementale ou droit réel de conservation environnementale ? Brève comparaison fronce-chilienne de deux lois estivales », RTD Civ., 2016, p. 949.


[8] Article 782 du Code civil suisse « La charge foncière assujettit envers un tiers le propriétaire actuel d’un fonds à certaines prestations pour lesquelles il n’est tenu que sur son immeuble »



réf. : ESTRABAUD (M.) et LECHHAB-VACOSSIN (M.), "L’hybridité pour la reconquête de la biodiversité : l’obligation réelle environnementale", Doctrin'Actu mars 2019, art. 41



Crédit photo : https://unsplash.com/photos/BmeqsTLE75w

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