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L'évolution du contentieux de l'Urbanisme par la loi ELAN

Dernière mise à jour : 29 août 2019


La loi ELAN du 24 novembre 2018 a entrainé d’une bonne dose de modernisation des autorisations d’urbanisme et la création de nouveaux outils à la disposition des pouvoirs publics, avec comme objectif, la levée des obstacles à la réalisation de projets d’aménagement.


La levée des obstacles, la volonté de sécurisation, d’ajustements, de corrections et de réponses à certains silences textuels, tels ont été les objectifs du législateur de la loi ELAN en matière de contentieux de l’urbanisme, à travers la rédaction du chapitre VI, intitulé « Améliorer le traitement et le contentieux de l’urbanisme », lequel avait été précédé d’un décret du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme.


Ce nouveau dispositif bouleverse la pratique du contentieux de l’urbanisme, principalement autour de deux axes :

  1. Le renforcement de la sécurité juridique des autorisations et,

  2. La lutte contre les recours abusifs.


I / LE RENFORCEMENT DE LA SECURITE JURIDIQUE DES AUTORISATIONS

  • Sur l’intérêt à agir

Le législateur a procédé à des ajustements de la définition de l’intérêt à agir des requérants, rendant ainsi plus difficile l’action en justice devant le juge de l’urbanisme.

Déjà, le décret du 17 juillet 2018 avait initié cet encadrement en cas de défaut de justification d’un affichage régulier de l’autorisation, puisqu’en pareil cas, les tiers-requérants qui bénéficiaient initialement d’un délai d’un an à compter de l’achèvement de la construction pour réaliser un recours, ne disposent désormais plus que d’un délai de six mois [1].

La loi ELAN fait perdurer cet objectif de limitation des recours.


Comme nous le savons, pour qu’une requête en annulation d’une autorisation d’urbanisme soit recevable, il est nécessaire qu’elle soit de nature à affecter les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien du requérant [2].

Alors que ces critères visaient uniquement les permis de construire, de démolir et d’aménager, son champ d’application a été étendu aux déclarations préalables, aux certificats d’urbanisme positif mais aussi aux refus de constater la caducité d’une autorisation.

  • Sur l’intérêt à agir des associations.

Les conditions de recevabilité des recours des associations, visées à l’article L. 600-1-1 du Code de l’urbanisme, ont également été durcies.

Initialement, il fallait que l’association requérante ait déposé ses statuts en préfecture avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.


Cette condition de recevabilité est alourdie puisque désormais, seules les associations ayant déposé leurs statuts au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire sont recevables à agir.

Ce délai a été considéré comme nécessaire par le législateur pour s’assurer que les associations n’étaient pas créés dans l’unique but de contester un projet donné, dont leurs membres auraient eu connaissance avant l’affichage de l’autorisation.


La détermination de ce délai est contestable. Pourquoi ? Puisqu’il est tout à fait possible qu’une association constituée dans ce délai d’un an, dont les statuts leur permettraient d’avoir un intérêt à agir, n’aient pas pour unique objectif la contestation abusive d’une autorisation d'urbanisme. Ces dispositions limitent donc considérablement le droit d’agir des associations ayant moins d’un an d’existence, et ce, au regard d’un critère purement temporel.

  • Sur l’introduction d’un référé-suspension

La sécurité des autorisations d’urbanisme a également amené le législateur a limité dans le temps la possibilité pour un requérant, ayant déposé un recours en annulation, d’engager un référé-suspension à l’encontre de la décision prise.

Pour rappel, le référé-suspension a pour objectif de suspendre une décision prise par l’administration au regard de critères d’urgence et à travers l’existence de raisons sérieuses de penser que la décision prise est illégale.


Désormais, une demande de suspension ne peut être demandée au-delà du délai fixé par le juge pour l’invocation de nouveaux moyens, lequel a été fixé à deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense [3].


Concrètement, lorsqu’une requête introductive d’instance est diligentée, un premier mémoire en défense sera réalisé et communiqué par la partie adverse. A l’issue d’un délai de deux mois, plus aucun moyen nouveau ne pourra être communiqué dans le cadre de l’instruction du dossier.

Précisons également que le décret du 17 juillet 2018 a créé une procédure de désistement tacite en cas de non-confirmation du maintien de la requête au fond dans un délai d’un mois suivant la notification de l’ordonnance de rejet du référé-suspension [4] !


En pareil cas, il faut donc être extrêmement vigilant et penser à écrire à la juridiction administrative, dans ce délai d’un mois, pour confirmer son recours au fond !


L’idée est de limiter le nombre de recours contentieux et de raccourcir la durée des instances puisque le décret précité a enfermé dans un délai de 10 mois, le jugement des affaires de permis de construire d’un bâtiment de plus de deux logements, ou contre les permis d’aménager un lotissement [5].

  • Sur l’illégalité des documents d’urbanisme

Le législateur a entendu limiter les effets de l’illégalité des documents d’urbanisme sur les autorisations délivrées, en intégrant un nouvel article L. 600-12-1 dans le code de l’urbanisme.

Jusqu’alors, le seul fait qu’un document d’urbanisme soit annulé, permettait de soulever un moyen d’illégalité dans lequel il suffisait de démontrer que l’autorisation litigieuse était contraire au document d’urbanisme antérieur ou à défaut, aux règles nationales d’urbanisme, pour caractériser l’annulation de l’autorisation contestée.

Désormais, le moyen d’illégalité du document d’urbanisme ne doit être retenu que s’il résulte de motifs directement liés aux règles de droit des sols de la zone où est situé le projet.

Concrètement, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l’annulation ou la déclaration d’illégalité [6]d’un SCOT, d’un PLU, ou d’une carte communale sont, par elles-mêmes, sans incidence sur les décisions relatives à l’occupation des sols délivrées antérieurement à leur prononcé, dès lors que ces annulations ou déclarations d’illégalités, reposent sur un motif étranger aux règles applicables au projet [7].

  • Sur l’action en démolition du Préfet.

Toujours dans cette perspective de sécurisation des autorisations d’urbanisme, le législateur a décloisonné l’action en démolition du Préfet.


Depuis la loi Macron du 8 août 2015, l’action civile en démolition de l’article L. 480-13 CU ne peut être exercée que dans 15 zones limitativement énumérées, ce qui était également applicable au Préfet.

Afin qu’il y ait un garde-fou, les rédacteurs de la loi ELAN ont considéré que la faculté préfectorale de solliciter la démolition des constructions sur l’ensemble du territoire devait être rétablie afin que l’action du Préfet ne se limite pas uniquement aux sites les plus sensibles, lorsque l’annulation a été prononcée à la suite d’un déféré-préfectoral [8].


On ne peut que s’en féliciter puisque le préfet dispose d’une mission constitutionnelle de faire respecter les lois dans les collectivités territoriales, ce qui justifie qu’il dispose de conditions plus favorables qu’un simple particulier.


  • Sur l’obligation du juge administratif de sursoir à statuer en vue d’une régularisation.

Dans l’optique de contraindre un peu plus le juge administratif dans son office, la loi ELAN renforce considérablement ses prérogatives d’annulation partielle [9]ou de sursis à statuer pour régularisation de certains vices affectant l’autorisation d’urbanisme contestée, puisque si elles n’étaient qu’une simple faculté, elles deviennent une obligation, assortie de l’exigence d’une motivation spéciale en cas de refus. La régularisation est d’ailleurs étendue aux déclarations préalables et aux permis de construire de régularisation, c’est-à-dire que le juge administratif peut recourir à cette possibilité même après l’achèvement des travaux.


  • Sur les modalités de contestation d’un permis de construire de régularisation en cours d’instance.

Pour limiter le risque de recours en cascade, le législateur confirme et généralise le régime contentieux des mesures de régularisation, crée par la jurisprudence du Conseil d’Etat [10], en insérant un nouvel article L. 600-5-2, lequel précise que lorsqu’une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance et que cette information a été communiquée aux parties, celles-ci ne peuvent contester sa légalité que dans le cadre de cette même instance.


Concrètement, en pareil cas, le requérant qui déciderait de demander l’annulation de l’autorisation modificative par un recours distinct encourt une décision d’irrecevabilité.


II / LA LUTTE CONTRE LES RECOURS ABUSIFS


Le second axe du législateur, en matière de contentieux de l’urbanisme, est la lutte contre les recours abusifs. Pour ce faire, celui-ci a souhaité assouplir les conditions d’indemnisations des bénéficiaires d’autorisations, en modifiant les dispositions de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme, et renforcer la sécurité juridique des transactions financières conclues.


  • Sur l’assouplissement des conditions d’indemnisations du requérant.

Si cette possibilité est offerte depuis la réforme du contentieux intervenue en 2013, en pratique, elle n’était que très rarement octroyée par les juridictions administratives, car les conditions de mise en œuvre étaient trop restrictives, puisqu’il fallait que le bénéficiaire du permis démontre, d’une part, que le recours lui causait un préjudice excessif et d’autre part, que le recours était mis en œuvre dans des conditions excédant la défense des intérêts légitimes du requérant.


La loi ELAN apporte un assouplissement à cette règle en supprimant la notion de caractère excessif du préjudice et en remplaçant la notion « d’exigence d’un recours excédant les intérêts légitimes » par celle traduisant « un comportement abusif du requérant ».


Il ne s’agit pas non plus pour le législateur que le juge administratif accorde l’ensemble des demandes indemnitaires déposées par les titulaires de permis contesté. D’ailleurs, à titre d’exemple, la première décision sur ce fondement, post loi ELAN, a été rejeté faute de démonstration d’un préjudice direct [11].


  • Sur les modalités d’une éventuelle transaction financière.

Enfin, il est également possible qu’en cours de contentieux, voir même en amont, les parties se rapprochent et procèdent à une transaction. Déjà en 2013, pour lutter contre les recours formés dans le seul but d’obtenir une contrepartie financière, l’exigence d’enregistrement des transactions financières effectuées en échange du désistement de l’auteur d’un recours est devenu obligatoire. Celui-ci doit intervenir dans le délai d’un mois, sous peine d’ouvrir une action en répétition[12]des sommes versées.


La loi ELAN étend l’obligation d’enregistrement fiscal des transactions financières à celles conclues en amont de l’instance. Jusqu’alors, les textes ne permettaient pas à l’administration de contrôler les désistements contre le versement d’une somme d’argent ou l’octroi d’un avantage en nature à celles conclues en amont d’un recours [13], alors même qu’il s’agissait d’un important moyen de pression, voir même, n’ayons pas peur des mots, d’un « racket procédural » auprès des promoteurs immobiliers, qui préféraient verser une somme d’argent pour réaliser leur projet, face à la menace de l’introduction d’un recours.


Toutefois, elle les interdit lorsqu’elles sont réalisées au bénéfice d’associations, sauf lorsque le recours vise à défendre leurs intérêts propres, c’est à dire lorsque l’association dispose elle-même de locaux voisins du projet ou lorsqu’elle est elle-même bénéficiaire d’une autorisation contestée [14].


Pour conclure, les nouvelles dispositions, issues de la loi ELAN, en matière de contentieux de l’urbanisme, répondent globalement aux attentes des professionnels de la construction puisqu’elles consolident la sécurisation des projets, mais, à mon sens, elles entravent considérablement le droit au recours des tiers.


Nous verrons d’ici les prochains mois les incidences de ces modifications par l’application qui en sera

faite par le juge administratif.


 

[1] Article R.300-3 du Code de l’urbanisme.


[2] Article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme.


[3] Article L. 600-3 du Code de l’urbanisme.


[4] Article R. 612-5-2 du Code de justice administrative.


[5] Article R. 600-6 du Code de l’urbanisme.


[6] Cas où le PLU se révèle illégal du fait d’une exception d’illégalité c’est-à-dire d’une illégalité du PLU invoqué dans le cadre d’un contentieux à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme.


[7] Article L. 600-12-1 du Code de l’urbanisme.


[8] Article L. 600-6 du Code de l’urbanisme.


[9] A travers la modification des textes L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme.


[10] CE, 19 juin 2017, Syndicat des copropriétaires de la résidence Butte Stendhal, n°398531.


[11] CAA Versailles, 14 mars 2019, n°16VE02590.


[12] Action en justice ouverte à la personne qui a effectué un paiement alors qu'elle n'en était pas débitrice en vue de reprendre la somme versée entre les mains de celui qui l'a reçue.


[13] Article L. 600-8 du Code de l’urbanisme.


[14] Ibid.



réf. : BALDIN (L.), "L'évolution du contentieux de l'Urbanisme par la loi ELAN", Doctrin'Actu mai 2019, art. 65

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