La pilule connectée : un produit de santé hybride soulevant des problématiques juridiques diverses

Si la pilule connectée actuellement commercialisée aux États-Unis présente certains avantages au regard du suivi médical du patient par le professionnel de santé, ce produit de santé hybride soulèverait, s’il venait à être commercialisé en France, des problématiques de qualification juridique et de traitement des données de santé recueillies. Nous assistons aujourd’hui à une numérisation de plus en plus importante de la santé, du fait de l’expansion des nouvelles technologies trouvant application en la matière.
L’appétence des patients pour les divers produits de santé connectés n’a de cesse d’augmenter. En effet, selon une étude IPSOS en date du 8 juin 2016 [1], « plus d’un Français sur deux se dit prêt à utiliser des applications connectées », et « 78% des Français se déclarent aussi favorables au partage de leurs données de santé avec l’ensemble des professionnels de santé qui les suivent ».
La pilule « Abilify MyCite » produite par le laboratoire japonais Otsuka et le laboratoire Proteus Digital Health aux États-Unis s’inscrit tout à fait dans cette tendance de partage numérique d’informations de santé avec le praticien.
En effet, ce produit de santé connecté prescrit, dans le cadre du traitement de la schizophrénie, des troubles bipolaires et de la dépression présente des caractéristiques inédites : « l’innovation tient au fait que cette pilule contient un capteur à base de silicone, cuivre et magnésium, qui une fois la pilule avalée est capable de transmettre un signal vers un patch collé sur la peau. L’information est ensuite transmise par Bluetooth sur une application pour smartphone, afin qu’elle soit visible pour le patient et les personnes y ayant accès » [2].
Ainsi, du fait de ce dispositif à la fois curatif et technologique, le médecin en charge du suivi du patient a la possibilité de vérifier si le traitement prescrit a effectivement été administré grâce à une application mobile connectée, si le patient consent au partage de ses données de santé.
Cette pilule est commercialisée aux États-Unis depuis la décision de la « Food and Drug Administration » (FDA), Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux en date du 13 novembre 2017 [3].
Si elle est présentée comme solution d’amélioration du suivi médical du patient par le professionnel de santé, sa commercialisation en France serait susceptible de soulever certaines problématiques juridiques.
Tout d’abord, une telle commercialisation engendrerait des problématiques de qualification juridique inédites. Or, la qualification d’un produit de santé est absolument nécessaire à la détermination de la procédure de mise sur le marché applicable.
En effet, le droit de la santé prévoit une distinction très claire entre les différents produits de santé, en les divisant en catégories distinctes, régies par des règles juridiques et des procédures très différentes.
La commercialisation d’un médicament, défini par l’article L5111-1 du code de la santé publique [4], suppose l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en droit interne, ou par la Commission européenne sur le plan européen. Une procédure longue et très encadrée est donc applicable, et un médicament peut également être retiré du marché dans le cadre d’un contrôle a posteriori à tout moment en cas de risque potentiel lié à sa composition.
La procédure de commercialisation d’un dispositif médical, défini par l’article L5211-1 du même code [5], est quant à elle différente. Le principal élément qui le distingue du médicament réside dans son mode d’action : le dispositif médical matériel ou immatériel suppose un fonctionnement dit mécanique, contrairement au médicament qui agit par voie pharmacologique ou immunologique ou par métabolisme.
La mise sur le marché d’un dispositif médical peut être perçue comme étant plus souple que celle d’un médicament. Cette dernière est cependant conditionnée à l’obtention du marquage CE [6] par un organisme notifié : en droit interne, l’organisme compétent est l’ANSM.
Un dispositif médical commercialisé demeure sous la responsabilité de son fabricant et fait, tout comme un médicament, l’objet d’un contrôle a posteriori. Dans ce cadre, les organismes certifiés effectuent divers audits auprès du fabricant afin de vérifier notamment la conformité du produit à la règlementation en vigueur, ainsi que la traçabilité de tous les composants du dispositif.
Si ces deux définitions semblent strictes, nous assistons pourtant à la création de produits de santé hybrides, rendant les frontières des définitions régies par le code de la santé publique poreuses, tels que la pilule connectée précitée.
Les règles juridiques actuelles relatives à la qualification de la notion de médicalement ou de dispositif médical, bien qu’adaptée, se doivent d’intégrer davantage la question de la qualification juridique du logiciel et de ses fonctions liées à l’intelligence artificielle. En effet, comme susmentionné, ce produit constitué par une molécule est également doté d'un système de suivi digital, qui pose quant à lui des problématiques relatives aux règles juridiques applicables en corrélation avec sa fonction.
Par ailleurs, les problématiques liées au traitement des données de santé recueillies du fait de cette pilule connectée devraient également être étudiées, afin d’être en conformité avec la législation européenne actuelle.
En effet comme énoncé précédemment, si le patient consent au partage de ses données de santé avec le praticien, celles-ci seront communiquées à ce dernier via une application mobile connectée et transmises à partir d’un patch collé sur sa peau. Au regard de la nature sensible desdites données de santé recueillies, la sécurisation de leur accès est alors primordiale. En outre, conformément à la règlementation prévue par le RGPD [7], les obligations relatives au recueil du consentement du patient seraient renforcées, d’autant plus que ce produit de santé est indiqué dans le cadre du traitement de troubles psychiatriques.
La commercialisation en France et au sein de l’Union Européenne de ladite pilule connectée devrait être précédée d’une qualification juridique adaptée à sa dimension hybride, ainsi que de garanties relatives au traitement des données de santé collectées.
En outre, si son objectif initial était d’améliorer la surveillance thérapeutique du patient de la part du professionnel de santé, cette pilule connectée n’a pourtant pour le moment pas eu d’effets concluants prouvés. En effet, le journal La Tribune [8] énonce que « la FDA rappelle que les études cliniques dédiées au développement de cette "pilule numérique" n'ont pas démontré une amélioration du suivi des traitements ». Ainsi, selon le laboratoire Otsuka à l’origine de la production de la pilule « Abilify MyCite », « this information allows the opportunity for an open dialogue with the patient » [9] : ladite pilule ne permettrait en réalité que l’amélioration du dialogue thérapeutique entre patient et praticien.
[1] Étude IPSOS en date du 8 juin 2016
[2] « Santé, numérique et droit-s », publié en 2018 sous la direction de Madame Isabelle Poirot-Mazères, page 31
[3] Décision de la « Food and Drug Administration » (FDA) en date du 13 novembre 2017
[4] Article L5111-1 du code de la santé publique
[5] Article L5211-1 du code de la santé publique
[6] Directive 93/42/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative aux dispositifs médicaux
[7] Règlement général sur la protection des données (RGPD) du 27 avril 2016
[8] Maladies mentales : une "pilule connectée" pour s'assurer du bon suivi d'un traitement
[9] Otsuka and Proteus Announce the First U.S. FDA Approval of a Digital Medicine System
réf. : BENNICHE (M.), "La pilule connectée : un produit de santé hybride soulevant des problématiques juridiques diverses", Doctrin'Actu janvier 2020, art. 113
Crédit photo : Proteus Digital Health