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La réinsertion des personnes détenues : l’affaire de tous et toutes


Un nouvel avis, de belles ambitions …


Le 24 septembre 2019, le premier ministre Édouard Philippe saisissait le Conseil économique, social et environnemental (CESE) afin que celui-ci rende un avis avant la fin du mois de novembre 2019 sur la question de la réinsertion des personnes détenues et ce, dans le prolongement de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 [1] et de réforme pour la justice. La lettre adressée par le premier ministre à son président, Patrick Bernasconi, demandait notamment au CESE de s’interroger « en particulier sur la place accordée à l’objectif de réinsertion dans les missions des services pénitentiaires ; l’évolution des moyens et dispositifs mis à la disposition de cette mission ; ses résultats mais aussi les obstacles, anciens ou nouveaux, auxquelles elle se heurte (…) »

Le calendrier a parfaitement été respecté. Le mardi 26 novembre 2019, Antoine Dulin, rapporteur, a remis publiquement son avis [2] contenant pas moins de dix-neuf préconisations en présence de Madame Nicole Belloubet, garde des Sceaux. Constat ? Bis repetita de solutions déjà éprouvées ? Ce nouvel avis mérite de se voir consacrer une analyse circonstanciée.


1. L’avis du CESE comporte tout d’abord le constat d’un changement significatif de la perception par l’opinion publique de la question carcérale. En 2000, 72% des français considéraient que la prison devait préparer à la réinsertion ; en 2018, ils ne sont plus que 45%. Aussi est-il nécessaire de penser collectivement cette question sociétale afin de faire changer le regard de l’opinion publique et de proposer des solutions rapides et efficaces.

C’est ensuite un constat chiffré et statistique que livre ce rapport. Le temps moyen passé en détention est de 8 mois, plus de 67% des détenus exécutent une peine de moins de deux ans. Si le droit à l’encellulement individuel fait partie du droit positif français depuis la loi du 5 juin 1875 [3], moins de 20% de détenus dans les maisons d’arrêt en bénéficient. Enfin, sept établissements pénitentiaires [4] dépassent les 200% de taux d’occupation.

Face à la surpopulation carcérale et à ses nombreuses conséquences durant la peine mais aussi après, depuis trente ans, la réponse est de construire plus de places dans les établissements pénitentiaires alors même que le nombre de délinquants n’a pas augmenté. Construire plus de places en prison, dans cette « machine à désinsérer » comme la définit Jean-Marie Delarue [5], ce ne peut plus être la solution privilégiée …

Le paradigme doit changer et il est absolument nécessaire de « penser la sortie dès l’entrée en détention ».


2. Au titre des dix-neuf préconisations pour favoriser la réinsertion des détenus, ce nouvel avis [6] de la CESE recommande tout d’abord la mise en œuvre effective du droit à l’encellulement individuel via la fixation d’un objectif pluriannuel de réduction de la population carcérale en lien bien évidemment avec la politique pénale.

S’agissant du développement des alternatives à la peine privative de liberté et des aménagements de peines, les recommandations formulées le sont à partir du constat statistique suivant : seulement 21% des personnes détenues bénéficient d’un aménagement de peine ; parmi elles, 81% se voient accorder un placement sous surveillance électronique (PSE), 12,3% un placement en semi-liberté et 6,8% un placement extérieur. Du côté des prévenus, force est de constater la faible utilisation des alternatives à l’emprisonnement alors même qu’ils pourraient en bénéficier largement. 30% des détenus sont actuellement en détention provisoire, d’autres solutions telles que l’assignation à résidence existent et doivent être davantage développées. Pour les condamnés, le CESE recommande donc le développement du travail d’intérêt général (TIG) aujourd’hui utilisé pour 3% des peines. En plus des mesures déjà récemment prises [7], il apparait nécessaire au CESE de fournir les moyens pour former et reconnaitre les tuteurs et de financer la prise en charge des tigistes dans les structures d’accueil.

Si la volonté de l’ensemble de la classe politique est bien aujourd’hui le développement des aménagements de peines, le CESE met en évidence le paradoxe de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui abaisse de deux à un an le seuil d’aménagement. Face à ce risque de voir diminuer encore le nombre d’aménagements, le conseil appelle au rétablissement du seuil à deux ans.

La problématique des aménagements de peines réside dans la difficulté voire dans l’impossibilité pour les magistrats de connaitre en temps réel les aménagements effectivement possibles c’est-à-dire les places disponibles dans le ressort de leur juridiction. Aussi le CESE recommande la mise en place dans chacun d’elles de tableaux de bord à destination des magistrats [8] indiquant non seulement les places disponibles en placement extérieur par exemple mais aussi le taux d’occupation des différents établissements pénitentiaires.

3. L’idée directrice est de donner aux personnes détenues les moyens de leur réinsertion tant la désistance est indéniablement un processus long et complexe. Pour cela, le CESE identifie huit priorités : penser la sortie dès la détention avec la création d’une commission d’insertion professionnelle dans chaque établissement et la généralisation de la structure d’accompagnement vers la sortie (SAS) aujourd’hui en place à la prison des Baumettes à Marseille ; améliorer la santé et assurer la continuité des soins en réalisant notamment un bilan de santé avec un volet psychologique et psychiatrique à l’entrée et à la sortie de détention ; garantir l’effectivité des droits en garantissant l’effectivité du renouvellement des documents d’identité et du titre de séjour, véritables sésames d’insertion, et en développant un accès numérique sécurisé pour réaliser les démarches nécessaires ; améliorer les conditions de travail et assurer la formation professionnelle de tous les détenus [9] en transformant l’acte d’engagement en un contrat spécifique signé entre l’administration pénitentiaire et le détenu donnant accès à l’assurance chômage, retraite et formation ; préserver les liens familiaux des détenus en instaurant dans tous les établissements pénitentiaires un parloir familial ou une unité de vie familiale (UVF) [10] ; faire de la culture et du sport les vecteurs de réinsertion et non plus des activités simplement occupationnelles [11] ; améliorer l’accès à l’hébergement et au logement [12] en favorisant le maintien dans le logement pour des courtes peines en permettant aux détenus de conserver leur bail et en garantissant via le secteur associatif des places de transition ; élargir et organiser les droits d’expression et le pouvoir d’agir des personnes détenues car la prison déresponsabilise et ne donne donc pas les réflexes nécessaires à la réinsertion.

Enfin, le CESE rappelle – au-delà du titre de son avis – que la réinsertion des personnes détenues est l’affaire de tous et de toutes et non du seul ministère de la Justice. L’organisation de la politique pénale doit passer par la création d’un comité interministériel piloté par la garde des Sceaux pour définir les objectifs et les indicateurs de progrès. Cette première création sera accompagnée de l’instauration d’un service national de la réinsertion des personnes placées sous-main de justice (PPSMJ) autonome et rattaché à la garde des Sceaux pour suivre les objectifs. Le CESE demande l’auto-saisine ou la saisine par le gouvernement de la Cour des comptes afin que celle-ci analyse l’ensemble de la question financière pour enfin faire avancer le débat public de façon construite et non polémique sur la situation carcérale en France.


4. La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a immédiatement répondu au rapporteur du CESE en saluant tout d’abord la qualité de l’avis rendu. Consciente de l’ampleur de la tâche à accomplir, la ministre de la Justice s’est inscrite en faveur d’une politique volontariste interministérielle affirmant à son tour que la réinsertion est bien l’affaire de tous. Pour preuve, les thématiques de la santé et du logement des détenus sont actuellement l’objet de « partenariats » avec la ministre de la santé Agnès Buzin et le secrétaire au logement Julien Denormandie.

S’agissant du développement des peines alternatives, Nicole Belloubet rappelle qu’il s’agit bien évidemment de l’objectif affiché de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019. Ce seul objectif ne peut suffire, il faut en plus un changement culturel des acteurs judiciaires. En réponse aux préconisations du CESE, la ministre de la justice précise l’actuelle mise en œuvre d’une politique active de régulation carcérale : à ce jour, onze sites expérimentent la mise à disposition de tableaux et d’outils au bénéfice des magistrats des tribunaux correctionnels leur permettant notamment de suivre l’impact des décisions prises.

Le rétablissement du seuil de deux ans réclamés par le CESE n’est pas, selon la ministre, nécessairement pertinent ; l’aménagement de peine n’est pas un outil de régulation carcérale. L’opinion publique, sensible à cette question d’effectivité de la peine privative de liberté, ne comprend pas ce seuil de deux ans. Aussi, au-dessus d’un an, la peine d’emprisonnement doit commencer à être exécutée en prison … le temps de l’aménagement viendra en cours de peine.

Nicole Belloubet met à profit son intervention pour annoncer le lancement – au 1er décembre 2019- d’une plateforme numérique à destination des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) sur l’ensemble du territoire et les informant en temps réel du nombre de places disponibles dans le cadre du TIG [13]. Les magistrats accèderont à cette plateforme à compter du 1 février 2020. Puis, sur cette même plateforme, des formations pour les tuteurs seront accessibles en ligne. Enfin, la garde des Sceaux termine par la question de l’organisation et des moyens consacrés en indiquant en réaction au nombre insuffisant de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) (aujourd’hui, moins d’un conseiller pour 80 détenus alors que le seuil européen est de 60) que sur les 1500 CPIP supplémentaires prévus dans la loi de programmation 2018-2022, 900 seront déjà formés et en place à la fin de l’année 2020.

5. Argument contre argument, bataille de chiffres alors même que le CESE et la ministre en ont tous deux convenu les études et les statistiques sur la question carcérale font défauts, effets d’annonce et de prises de conscience … tel semble être finalement le centre du débat de la question pénale dans l’Hexagone. Ce nouvel avis du CESE formule des préconisations intéressantes et fondamentales même pour certaines … mais elles ne sont pas foncièrement nouvelles. Cet avis n’en dit pas assez sur les moyens, en matière pénale et carcérale, la clef de voûte connait assurément une dimension financière. Selon les chiffres communiqués par le CESE dans son avis, une journée en détention coûte entre 64 et 140 euros, une journée en placement extérieur 31 euros, une journée sous surveillance électronique a un coût de 12 euros, enfin une journée sous le régime de la semi-liberté coûte 39 euros. Incontestablement, la prison coûte chère ; le ratio est important. Mais le coût financier ne peut régler et diriger à lui seul une question si importante car attentatoire à la liberté fondamentale d’aller et venir, si fondamentale car remettant en question parfois le contrat social auquel nous avons tous pris part en échange de la protection de la société. Si le prix de la réponse pénale est une question nécessaire, sa perception par l’opinion publique l’est encore plus ; il en relève de la confiance envers la justice …


6. Les ambitions sont louables. La prise de conscience effective depuis maintenant bien plus d’une décennie, rappelons-nous le rapport du Sénat Prisons : une humiliation pour la République [14] suite au « livre coup de tonnerre » de Véronique Vasseur en 2000 [15].

La formule « Ouvrez une école, vous fermerez une prison » bien souvent attribuée à Victor Hugo ne peut aujourd’hui suffire à résoudre la situation pénale et carcérale française. Les prisons sont devenues l’école du crime : celui qui n’entre pas foncièrement délinquant en ressort potentiellement criminel … La réponse pénale est très souvent inadaptée, mal-dimensionnée. Les politiques pénales successives ont cru pouvoir ajuster le patron en instaurant les mécanismes d’aménagements de peines. Or, si le costume pénal a fort heureusement disparu des établissements pénitentiaires français, la condamnation pénale demeure ce boulet de forçat qui - dès son prononcé – rend difficile la réinsertion post incarcération. Ne faudrait-il pas oser enfin parler d’insertion ? Nul doute que dans une certaine mesure, une des données du problème se trouve ici. Il ne faut pas réapprendre mais apprendre. La délinquance contre laquelle nos politiques pénales ne parviennent pas à lutter est une délinquance issue de l’anomie d’Emile Durkheim ; c’est bien le défaut d’insertion de l’individu qui le mène à la délinquance.


Ce mardi 26 novembre 2019, Nicole Belloubet, ministre de la justice, demandait l’élaboration d’une feuille de route pour tenter une nouvelle fois de régler la question pénale et in fine carcérale en France. Nos déceptions passées en la matière préjugent – espérons-le à tort – d’une déception prochaine face au nouvel accouchement d’une souris par la montagne …


 

[1] Loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice - JORF n°0071 du 24 mars 2019 texte n° 2 - NOR:  JUST1806695L


[2] https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2019/2019_28_personnes_detenues.pdf


[3] En 1873, René Béranger, entendu par la Commission d’enquête sur l’état des prisons présidée par le vicomte d’Haussonville, propose l’encellulement de jour et de nuit des condamnés à des courtes peines. Cette proposition mènera au vote de l’emprisonnement cellulaire le 5 juin 1875. Toutefois, faute de moyens, cette réforme ne trouvera pas application.


[4] Les sept maisons d’arrêt les plus surpeuplées sont Vesoul (252%), La Roche sur Yon (220,5%), Carcassonne (214,1%), Nîmes (210,5%), Limoges (203,6%), Béthune et Perpignan (201%).


[5] Jean-Marie Delarue est un haut fonctionnaire et conseiller d’état. De 2008 à 2014, il a été contrôleur général des lieux de privation de liberté. En 2019, d’avril à novembre, il a assumé la fonction de président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.


[6] La CESE avait déjà rendu un avis le 22 février 2006 sur les conditions de la réinsertion socio-professionnelle des détenus en France : https://www.lecese.fr/travaux-publies/les-conditions-de-la-reinsertion-socioprofessionnelle-des-detenus-en-france.


[7] En novembre 2018, le gouvernement annonçait la création d’une agence nationale du travail d’intérêt général pour justement promouvoir davantage cette réponse pénale : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/20181119-DPAgence_du-travail-d-intereet-general-VDEF.pdf.

Par suite, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 augmenta le seuil à 400 heures, instaura la possibilité de prononcer un TIG en l’absence du condamné (article 131- 8 du Code pénal) et de prononcer un TIG pour un mineur de 16 ans au moment de la condamnation, âgé de 13 ans au moment des faits (article 20-5 de l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945).


[8] Nous formulions cette même recommandation in JEANPIERRE (V.), Punir hors les murs, thèse de doctorat soutenue le 19 octobre 2018 à l’Université Jean Moulin Lyon III sous la direction d’Annie Beziz-Ayache.


[9] 28% des détenus travaillent en prison. La prison reste le seul lieu où le travail est rémunéré à la pièce et bien en deçà du SMIC horaire légal. En 2018, seul 14% des détenus bénéficiaient d’une formation professionnelle.


[10] Aujourd’hui, 55 établissements pénitentiaires sur les 188 que compte la France sont dotés d’une unité de vie familiale.


[11] Le CESE propose de financer la création de postes de médiateurs culturels dans les établissements pénitentiaires pour vulgariser la culture auprès des détenus et assurer le lien culture/justice.


[12] En 2017, seulement 28% des sortants disposent d’un hébergement.


[13] Cette plateforme a été expérimentée sur le ressort de quatre sites pilotes.


[14] Rapport de M. Guy-Pierre CABANEL, fait au nom de la commission d'enquête n° 449 tome I (1999-2000) - 29 juin 2000 - Prisons : une humiliation pour la République (tome 1, rapport)


[15] VASSEUR (V.), Médecin-chef à la prison de la Santé, Cherche-midi, 2000


réf. : JEANPIERRE (V.), " La réinsertion des personnes détenues : l’affaire de tous et toutes", Doctrin'Actu février 2020, art. 116


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