La raison d’être des sociétés : une notion introduite par le projet de loi PACTE
Dernière mise à jour : 29 août 2019
Voté en première lecture à l'Assemblée nationale le 9 octobre 2018 avant un passage devant le Sénat en janvier 2019, le projet de loi PACTE [1] (plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) ambitionne de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois.
Si ce projet introduit de nombreuses nouveautés pour les entreprises, il attire particulièrement l’attention des spécialistes du droit des sociétés en consacrant une notion jusqu’alors inconnue, la « raison d’être » des sociétés.
La notion de raison d’être des sociétés :
L'article 61 du projet, relatif à la « raison d'être » des sociétés, est placé sous l'intitulé « repenser la place des entreprises dans la société ».
Cet article 61 apporte deux modifications au code civil avec un effet miroir sur les dispositions du code de commerce :
d’une part, par les modifications proposées à l’article 1833 [2] du Code civil, cet article consacre la notion jurisprudentielle d’intérêt social ;
d’autre part, par les modifications proposées à l’article 1835 [3] du Code civil, ce projet permettrait d’inscrire dans les statuts d’une société sa raison d’être.
L’introduction de la raison d’être, dont la société entend se doter dans la réalisation de son activité, révèle l’ambition des rédacteurs : transformer le modèle français de l’entreprise pour relever le défi de la croissance des entreprises.
Or, si la société n’est pas l’entreprise mais davantage le mode d’organisation juridique de celle-ci, l’entreprise ne constitue pas réciproquement un concept juridique. Elle ne revêt de forme juridique que par le biais de la société. De ce fait, les pouvoirs publics souhaitant adapter l’entreprise aux réalités XXIème siècle et repenser sa place dans notre société, il est logique que le législateur modifie le droit des sociétés qui la consacre comme sujet de droit.
Pourtant, il convient de rappeler qu’il n'a jamais été interdit à une société de faire figurer dans ses statuts une raison d'être. On trouve d’ailleurs quelques traces de cette notion dans la jurisprudence [4] qui relèvent davantage d’une confusion avec l’objet social, élément constitutif de la société qui définit sa sphère d’activité. Ces exemples sont toutefois très rares, de sorte que la notion de « raison d’être » reste tout à fait inédite.
Que signifie donc cette notion ? L’exposé des motifs du projet de loi PACTE nous éclaire par sa référence au rapport « l’entreprise, objet d’intérêt collectif » réalisé par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat [5]. Ce rapport indique que la notion de raison d’être peut-être définie « comme l’expression de ce qui est indispensable pour remplir l’objet social». La raison d’être peut ainsi « avoir un usage stratégique, en fournissant un cadre pour les décisions les plus importantes ». Le rapport ajoute que « la raison d’être pour une entreprise est une indication, qui mérite d’être explicitée, sans pour autant que des effets juridiques précis y soient attaché ».
Introduire la « raison d’être » dans le Code civil traduit une volonté tant symbolique que politique des pouvoirs publics : celle de parachever cette notion en l’introduisant dans le texte de référence du droit privé par excellence.
Les rédacteurs restent toutefois prudents : l’article 1832 [6] qui définit le contrat de société n’est pas touché et l’introduction de la raison d’être dans les statuts restera facultative.
Les sanctions à la violation de la raison d’être :
Les statuts tiennent lieu de loi aux associés. Par conséquent, comme tout disposition statutaire, elle s’impose aux associés et le non-respect de la raison d’être sera nécessairement sanctionné.
Quelles sanctions seraient encourues en cas de non-respect de la raison d’être ? Un indice est esquissé par le projet de loi PACTE qui prévoit d’insérer aux articles L. 225-35 [7] et L. 225-64 [8] du code de commerce la prise en considération de la raison d’être, respectivement par le conseil d’administration et le directoire de la société anonyme. Au regard de ces éléments, il semblerait donc que la raison d’être soit appréciée au regard des décisions portées par les organes dirigeants de la société.
Sur le plan civil, les associés pourraient donc initier une action sociale dite ut singuli en réparation du préjudice subi par la société ou encore une action en révocation du dirigeant.
Au-delà de la sanction civile, c’est l’image de la société auprès du public qui pourrait être affectée et ce d’autant plus pour une grande entreprise où la raison d’être raisonnera comme une sorte de slogan. La sanction médiatique pourrait avoir un effet considérable sur la société.
Le projet de loi PACTE permet donc d’introduire à titre facultatif au sein des statuts un nouveau concept sans modifier la finalité première de la société. On peut évidemment s’interroger sur l’opportunité d’une telle disposition et sur l’efficience des sanctions en cas de méconnaissance.
[4] Cour d’appel de Paris, 11 mars 2014, n° 12/01379 ; Cons. const. 15 juin 1976, Boileau, n° 76-2 I
réf. : CLAIR (C.), "La raison d’être des sociétés : une notion introduite par le projet de loi PACTE", Doctrin'Actu décembre 2018, art. 10