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Le droit à l’avortement : quelle place dans le monde ?

Dernière mise à jour : 29 août 2019


A l’heure où le festival de Cannes se met au vert pour soutenir le mouvement en faveur de la légalisation de l’avortement en Argentine [1]. Des Etats disposant du droit à l’avortement durcissent leur loi permettant l’avortement et d’autres se refusent de légaliser l’avortement malgré l’opinion publique. Si cette question fait régulièrement l’objet de publications et d’études, il nous est apparu essentiel de faire un point sur l’état de la législation pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en raison du contexte mondial actuel.


Il semble primordial de rappeler que cette question n’est pas un fait nouveau, en effet, l’avortement existe depuis aussi longtemps que l’espèce humaine. La première législation évoquant l’avortement est le Code Hammurabi datant de -1750, et interdit l’avortement dans ses paragraphes 209 et suivants « Si un homme a frappé une fille d'homme libre et a fait tomber son intérieur (avorter), il payera, pour son fruit, dix sicles d'argent[2] » soit environ 80 grammes d’argent. Durant de nombreux siècles, l’avortement va être prohibé et réprimé moralement. Malgré, ces interdictions les femmes vont avortés soit par techniques médicamenteuses soit par intervention chirurgicale, parfois au prix de leur vie.


Le premier pays à se doter d’une législation en faveur de l’IVG est la Russie en 1920, cette loi sera étendue à l’Union soviétique. Toutefois, cette légalisation de l’avortement est à nuancer puisque si elle dépénalise l’avortement aucune mesure concrète n’est mise en place, et aucune précision n’est faite sur les modalités de l’avortement comme les délais : « [L'État soviétique] lutte contre l'avortement, en renforçant le régime socialiste et la propagande développée contre lui, parmi les femmes actives et en se donnant les moyens d'une protection de la maternité et de l'enfance. Il conduit à la disparition progressive de cette pratique. Cependant, les survivances du passé et les conditions économiques actuelles amènent encore les femmes à se résoudre à cette opération. Le Commissariat du Peuple à la Santé et le Commissariat du Peuple à la Justice, tout en protégeant la santé des femmes et dans l'intérêt de la race, considérant que la répression dans ce domaine ne donne pas les résultats escomptés décrète [l'avortement autorisé] [3]»


En 1936, Staline interdit de nouveau l’avortement mais il sera de nouveau légalisé et de façon définitive en 1956. Si la Russie est un pays novateur sur ce point, le 26 novembre 2013, le gouvernement russe est venu interdire la publicité des services d’avortement.


Si l’Europe paraît être le cœur de la légalisation de l’avortement, les Etats la composant ne sont pas unanimes sur le sujet. Certains pays européens n’autorisent pas l’avortement ou de façon très restrictive. C’est notamment le cas de Malte qui interdit totalement l’avortement. Cette position se justifie principalement par la place de la religion catholique dans la société maltaise. Nous pouvons également faire référence à la Pologne qui, depuis 1993, permet l’avortement dans 3 situations : en cas de malformation grave du fœtus, en cas de danger pour la femme et en cas de viol ou inceste. D’autres pays répondent favorablement aux manifestations en faveur des droits des femmes. Après un référendum auquel 66% des irlandais ont répondu oui à l’interruption de grossesse, l’Irlande autorise l’avortement depuis le 1erjanvier 2019. La France, quant à elle, se dote du droit à l’IVG le 17 janvier 1975, après un long historique sur la question : loi de 1920, procès de Bobigny en 1972, le manifeste de 343 femmes... Toutefois, si c’est l’année 1975 que l’on retient ce n’est qu’en 1979 que la légalisation de l’avortement en France est définitive. En effet, la première loi appelé la loi Veil n’était votée que pour une durée de 5 ans.


L’interruption volontaire de grossesse est régie par l’article 2212-1 du Code de la santé publique dans les termes suivants : « La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l'interruption de sa grossesse. Cette interruption ne peut être pratiquée qu'avant la fin de la douzième semaine de grossesse. Toute personne a le droit d'être informée sur les méthodes abortives et d'en choisir une librement. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables [4]».


Dans certaines parties du monde comme l’Afrique et l’Amérique latine, l’interdiction d’avorter reste la norme. Néanmoins, certains pays l’autorisent dans des conditions très strictes comme le Mexique où il est autorisé en cas de viol ou d’anomalie du fœtus, en Bolivie, il est autorisé uniquement pour sauver la vie de la mère ou préserver sa condition physique. Le dernier exemple en date est celui du Chili où en 2017 l’avortement a été partiellement dépénalisé en cas de viol, de danger pour la mère ou de fœtus non-viable. Même si de nombreuses manifestations et de projets loi voient le jour en Amérique latine ces dernières années leur aboutissement n’a pas lieu.


En effet, si l’Argentine a donné une lueur d’espoir aux militants pro IVG, cet espoir fut mis à mal le 9 août dernier lorsque les sénateurs ont rejeté la légalisation de l’avortement à 38 voix contre 31. Seuls 3 pays ont libéralisé le droit à l’avortement sans restriction. Il s’agit de Cuba, depuis 1965, de Guyana depuis 2006 et de l’Uruguay depuis 2012. Sur le continent africain, le constat est le même seuls 3 pays autorisent l’avortement sans restriction de motif : la Tunisie, l’Afrique du Sud et le Cabo Verde. 10 pays interdisent totalement l’avortement on peut notamment citer la Mauritanie, le Gabon ou encore le Sénégal [5]. Ces limitations ont pour conséquences de développer les interventions clandestines, sur le continent africain il est estimé que 98% des avortements sont non médicalisés, ayant pour conséquences une grande mortalité. C’est notamment pour éviter ces taux élevés de mortalité que les pays viennent encadrer la pratique de l’avortement, cependant, on assiste depuis peu à un retour en arrière sur le sujet.


Aux Etats-Unis, 28 Etats ont limité l’accès à l’avortement depuis le début de l’année. Les derniers Etats en date sont l’Alabama qui le 14 mai dernier a voté l’interdiction de l’avortement après six semaines de grossesse sans exception et le Missouri qui depuis le 17 mai dernier punit de 15 ans de prison tout avortement pratiqué après la huitième semaine de grossesse. La position de ces Etats s’inscrit dans la suite des actes de Donald Trump, qui en 2018, a arrêté d’accorder des subventions aux centres de santé pratiquant l’IVG. Si les Etats Unis constituent l’exemple le plus marquant et le plus récent de ce recul ce n’est pas le seul pays à tenter de remettre en cause l’accès à l’avortement légal.


Déjà en 2013, le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy présentait un projet de loi circonscrivant l’avortement au seul cas de violou de grave danger pour la vie, la santé physique ou la santé psychique de lafemme. Ce projet de loi a toutefois été abandonné très rapidement par le gouvernement. En Pologne, depuis l’élection au gouvernement d’un parti conservateur, le droit à l’avortement est régulièrement menacé. En effet, une première tentative de restreindre et criminaliser l’avortement a échoué en 2016. Puis, en 2018 un projet de loi supprimant la possibilité d’avoir recours à l’avortement en cas de malformation du fœtus a été proposé mais n’a pas abouti.


En conclusion, le droit à l’avortement est une lutte de longue date qui connaît sans cesse des rebondissements. Si aujourd’hui sur 197 pays reconnus par l’ONU, 76 ont légalisé la pratique de l’IVG, nous pouvons nous demander quel sera l’impact de ce recul de certains pays développés sur les futurs projets de lois émanant de pays non dotés de législation favorable à l’interruption volontaire de grossesse comme l’Argentine ou le Brésil.


 

[1] Pour plus d’informations sur ce point : https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/05/19/a-cannes-le-monde-du-cinema-en-vert-pour-defendre-le-droit-a-l-avortement_5464113_3246.html ;


[2] https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00766666/file/Loi_Hammourabi.pdf ;


[3] Avdeev Alexandre, Blum Alain, Troitskaja Irina. Histoire de la statistique de l'avortement en Russie et en URSS jusqu'en 1991. In: Population, 49ᵉ année, n°4-5, 1994. pp. 903-933 ;


[4]https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.docidTexte=LEGITEXT000006072665&idArticle=LEGIARTI000006687520&dateTexte=29990101&categorieLien=cid

[5] https://www.guttmacher.org/fr/fact-sheet/avortement-afrique



réf. : GIRARD (P.), "Le droit à l’avortement : quelle place dans le monde ?", Doctrin'Actu juin 2019, art. 69

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