Le service public de la restauration collective et le droit de la commande publique
Dernière mise à jour : 21 août 2019
Comment passer outre la requalification en marché public des délégations de service public de restauration scolaire ?
Les délégations de service public en matière de restauration scolaire menacent, de plus en plus, d’être requalifiées en marchés publics. Pour ce faire, le juge se fonde sur la structure même de l’économie de ce secteur.
Toutefois, les acheteurs sont de plus en plus nombreux à combattre cette position du prétoire au nom du principe du libre choix du mode de gestion du service public de restauration scolaire et collective.
Les deux axes qui suivent nous permettent de comprendre que le resserrement de la notion de risque d’exploitation a conduit le juge à remettre en cause le recours à la délégation de service public en matière de restauration scolaire. Comment y faire face ?
I. Le resserrement de la notion de risque d’exploitation
Auparavant, pour que le contrat soit qualifié de délégation de service public, le juge considérait qu’il suffisait que les trois-quarts des recettes du prestataire de restauration collective soient constitués « d’une redevance versée par les familles et d’une participation du département et de la caisse d’allocations familiales variant selon le nombre d’usagers » [1].
Deux ans plus tard, le Conseil d’Etat a consacré le critère du risque d’exploitation comme critère de distinction entre le marché public et la délégation de service public. Par cette consécration, le juge administratif analyse de manière beaucoup plus fine si le prestataire est exposé ou non à un réel risque d’exploitation [2]. Si ce risque est réel, nous sommes en présence d’une délégation de service public ; à l’inverse, d’un marché public.
L’année suivante, le juge administratif prend un premier virage en requalifiant en marché public un contrat de ce type. Avec cette décision [3], le caractère captif de la clientèle en matière de restauration scolaire constitue un obstacle fondamental à la caractérisation du risque d’exploitation.
De plus en plus, le Conseil d’Etat devient inflexible sur le risque en matière de délégation de service public de restauration collective. Deux récentes décisions le montrent :
La première [4] remet sérieusement en cause le risque sur la variation de la fréquentation et celui lié à la prise en charge des impayés par le prestataire au sein d’une convention de gestion provisoire. Cette dernière a été requalifié en marché public ; position confirmée par la Cour administrative d’appel de Bordeaux dans un contentieux similaire concernant la même société [5] ;
La seconde remet à nouveau en cause le risque lié aux impayés en raison de son caractère insuffisant et écarte la qualification de délégation de service public [6].
Ainsi, depuis quelques années, du fait du resserrement de la notion de risque d’exploitation, le recours à la délégation de service public en matière de restauration scolaire et collective va dans un sens peu favorable aux collectivités qui souhaitent continue à exercer un libre choix dans la gestion de leur service public de restauration.
II. Le recours à la délégation de service public en matière de restauration scolaire est-il condamné ?
Bien que les éléments précédemment évoqués laissent penser que le recours à la délégation de service public en matière de restauration scolaire et collective est condamné, il est toujours possible pour les collectivités territoriales de détourner cela en sécurisation au maximum la passation de ses contrats.
Pour ce faire, elles doivent s’assurer de :
Transférer un risque d’exploitation
Dans toutes les jurisprudences précitées, le juge administratif se borne à considérer, pour justifier une éventuelle requalification en marché public, que le risque économique est insuffisant.
Or, nous pourrions considérer que cet argument est contraire au principe de libre choix du mode de gestion des services publics. En effet, d’après la définition du contrat de concession issu de la jurisprudence du droit de l’Union européenne, le transfert d’un risque économique, même résiduel, au délégataire devrait être suffisant.
Egalement, en 2009, le juge communautaire considérait que, dans les secteurs dans lesquels le risque économique était limité, le dispositif contractuel le plus adapté restait la concession et ce, même si « le risque lié à l’exploitation est très limité » [7].
Déjà à ce stade, nous pouvons soutenir que l’absence ou l’insuffisance de risque lié à la fréquentation des restaurants scolaires n’est pas un argument pertinent pour écarter la qualification de délégation de service public.
D’autant plus que, dans le cadre d’un contrat de concession, la collectivité ne peut transférer que des risques qu’elle encourt elle-même, que ces risques soient très limités dès l’origine ou non.
Réinsérer un risque économique dans la délégation de service public
Il est conseillé aux collectivités territoriales de prendre des précautions dans l’élaboration de leur modèle économique en matière de restauration scolaire.
La réintroduction d’un risque économique passe par l’extension du périmètre du contrat (peut-être faudrait-il que les collectivités aillent au-delà de la simple restauration scolaire ?) ou encore par la réduction des parts de compensations publiques.
Une fois ce risque économique réinséré dans le contrat de délégation de service public, les risques de requalification seront minimisés.
Chères collectivités, place au challenge et à l’innovation !
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N.B. : un nouveau décret n° 2019-351 du 23 avril 2019 [8] précise les catégories de produits pouvant entrer dans le décompte des objectifs quantitatifs d’approvisionnement en denrées alimentaires de qualité et durables fixés pour les restaurants collectifs, ainsi que les modalités de suivi de mise en œuvre de ces objectifs.
L’article R. 230-30-2 est nouvellement intégré au sein du Code rural et de la pêche maritime, prévoyant :
« Pour l'application du 1° du I de l'article L. 230-5-1, la prise en compte des coûts imputés aux externalités environnementales liées au produit pendant son cycle de vie est réalisée selon les modalités prévues au 2° de l'article R. 2152-9 du Code de la commande publique [9] et au deuxième alinéa de l'article R. 2152-10 du même code [10].
« Pour les personnes morales de droit public mentionnées à l'article L. 230-5-1, la pondération de ce critère parmi les critères de choix de l'offre économiquement la plus avantageuse est fixée par arrêté du ministre chargé de l'agriculture, sans pouvoir être inférieure à 10 % ni supérieure à 30 %. La note qui lui est attribuée représente au minimum quatre dixièmes de la note maximale.
« Pour les personnes morales de droit privé mentionnées à l'article L. 230-5-2, les produits sont acquis conformément à une méthode préalablement formalisée leur permettant de justifier la prise en compte des coûts imputés aux externalités environnementales liées au produit à un niveau égal à celui fixé par l'arrêté mentionné au deuxième alinéa. »
Ces dispositions entreront en vigueur à compter du 1erjanvier 2022.
[1] CE 20 oct. 2006, Commune d’Andeville, n° 289234.
[2] CE 7 nov. 2008, Département de la Vendée, n° 291794.
[3] CE 5 juin 2009, Société Avenance-Enseignement Santé, n° 298641.
[4] CE 24 mai 2017, Société Régal des Iles, n° 407213.
[5] CAA Bordeaux 8 oct. 2018, Société Régal des Iles, n° 16BX02772.
[6] CAA Lyon 20 sept. 2018, Société SHCB, n° 15LY04042.
[7] CJUE 10 sept. 2009, Eurawasser, aff. C-206/08.
[9] Article R. 2152-9 du Code de la commande publique.
[10] ArticleR. 2152-10 du Code de la commande publique.
réf. : Pôle droit public, "Le service public de la restauration collective et le droit de la commande publique", Doctrin'Actu mai 2019, art. 66