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Legs universel : de la gratification au possible fardeau


Le droit positif - A la différence du droit américain, le droit français ne permet pas à une personne physique, père ou mère, de choisir la totalité de ses héritiers. En effet, notre droit positif connait à l’article 912 du Code civil les notions de réserve héréditaire et de quotité disponible.

Le Code civil définit la réserve héréditaire comme la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. La réserve héréditaire varie en fonction de la qualité et du nombre d’héritiers [1].


La quotité disponible, quant à elle, est la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités. Cette quotité disponible peut être dévolue à une ou plusieurs personnes, physiques ou morales.

Il n’est pas rare que la personne physique, père ou mère, souhaitant prendre des dispositions testamentaires rencontre un notaire afin de savoir justement comment en disposer. Au moins, deux cas de figures sont envisageables : la personne physique, consciente de conflits à venir au moment de son décès, anticipe ou bien, elle réagit d’ores et déjà à des conflits préexistants.

Le notaire pourra alors proposer de nommer le bénéficiaire de la quotité disponible légataire universel. Cette qualité présente certains intérêts ; notons parmi ceux-ci que le légataire universel a vocation à recueillir l’ensemble de la succession et ne se trouve pas dans une situation d’indivision avec l’héritier réservataire  - la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 11 mai 2016 [2] ayant précisé sans aucune ambiguïté qu’« il résulte des articles 924 et suivants du Code civil qu’en principe, le legs est réductible en valeur et non en nature, de sorte qu’il n’existe aucune indivision entre le légataire universel et l’héritier réservataire ».

Rôle indéniablement lourd et nomination non sans conséquence dans le règlement de la succession, le légataire universel peut rapidement voir ce legs se transformer en véritable charge financière dans le cas d’une succession conflictuelle dès lors que le de cujus a par le passé lors du décès de son conjoint opté pour l’option des trois quarts en usufruit et d’un quart en pleine propriété. En effet, les avantages juridiques attachés à cette qualité seront anéantis par cette dernière.


Le cas d’espèce – illustrations - Prenons pour illustrer notre propos le cas d’une succession intéressant le petit-fils du de cujus, Monsieur J., venant en représentation de sa mère prédécédée et le neveu du de cujus. Dix ans avant le décès de Monsieur J., son épouse décédée l’avait laissé comme héritier avec leur petit fils, enfant de leur fille prédécédée. Monsieur J. avait alors opté pour l’option successorale suivante : trois quarts en usufruit, un quart en pleine propriété. Délaissé par son petit-fils, Monsieur J. prend des dispositions testamentaires au bénéfice de son neveu ; un testament authentique est réalisé.

Au décès de Monsieur J., son notaire adresse un courrier resté sans suite au petit-fils lui demandant de prendre attache avec son étude. Conscient que la succession doit se régler dans les six mois suivant le décès, le neveu demande au notaire de dépêcher huissier de justice au domicile du petit-fils afin de l’enjoindre à prendre parti dans le délai légal de deux mois (articles 771et 772 du Code civil [3]). Non sans mal, l’acte de notoriété est finalement signé : le petit fils reçoit la qualité d’héritier réservataire, le neveu celle de légataire universel. Par suite, la situation est totalement bloquée.


La déclaration de succession - L’actif successoral fait état de liquidités et d’un tènement immobilier comprenant une maison et un terrain. Se fondant sur cet actif, il appartient aux héritiers d’établir une déclaration de succession à destination de l’administration fiscale afin de s’acquitter dans les temps impartis des frais de succession. L’article 641 du Code général des impôts [4] (CGI par la suite) impose un délai de six mois à compter du jour du décès pour le dépôt de la déclaration de succession. A défaut d’un dépôt dans le délai imparti, les intérêts de retard courent à hauteur de 0,20% par mois [5] et s’ajoutent aux frais de succession. L’administration n’a pas à patienter, elle n’a cure des querelles d’héritiers. De fait, la majoration de 10 ou 40% prévue à l’article 1728 du CGI est applicable.

L’héritier réservataire – petit fils du de cujus - et le légataire universel – neveu- ne sont pas égalitaires : leur lien de filiation avec le de cujus n’étant pas le même, leur régime diffère. Dans notre cas d’espèce, le légataire universel est soumis à un barème d’imposition important : 55% sur la totalité du patrimoine après un abattement de 7 967 euros. A titre de comparaison, le petit-fils héritier réservataire venant en représentation de sa mère prédécédée connait un barème d’imposition maximal de 10% après un abattement de 100 000 euros. La pression fiscale est évidemment toute différente. L’intérêt porté au règlement rapide de la succession aussi.

Un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation [6] relatif à la solidarité entre héritiers pour le paiement de l’impôt en matière de droits de succession rappelle combien il est important de respecter les règles en la matière. Au-delà de la décision de la Cour de cassation, c’est bien l’inconfortable situation dans laquelle se trouvent les héritiers face à leurs homologues réfractaires qui est reconnue.

Par chance, nos héritier réservataire et légataire universel ne sont pas solidaires. Aussi, ce dernier ne peut être contraint d’assumer la charge fiscale de l’autre. Toutefois, pour se prémunir de tout risque de majoration et d’intérêts de retard, le légataire universel doit faire le choix intelligent et prudent de verser une provision à l’administration fiscale. Lorsqu’un bien composant la succession est en indivision [7] entre les héritiers, le paiement fractionné est impossible ou subordonné à son placement en garantie. En notre espèce, la qualité de neveu du légataire universel lui assure une somme conséquente à provisionner auprès de l’administration fiscale.

Aussi, au regard de cette charge financière conséquente alors même que rappelons-le le légataire universel n’a toujours pas perçu ne serait-ce que quelques centaines d’euros d’héritage, il apparait inconcevable que la loi ne prévoit rien en un tel cas. Il conviendrait donc que le légataire universel n’ait pas à subir une telle charge financière : l’administration fiscale pourrait au moins le récompenser de son souci de bien faire en accordant des facilités de versement de cette provision. Cette clémence de l’administration fiscale serait d’autant plus justifiée que le légataire universel subit les conséquences d’une succession antérieure à laquelle il n’était pas partie.


La charge de la succession -Autre différence notable, mais toujours financière, celle de la charge de la succession. Le légataire universel subit le revers de sa capacité à recueillir l’intégralité de la succession alors même qu’à ce jour, il n’a rien perçu de l’actif successoral. C’est à lui que revient la charge de payer les impôts fonciers du tènement immobilier, les frais d’assurance ou encore les frais d’entretien (arbres à élaguer par exemple).

Toutefois, dès lors que l’actif successoral ou plus exactement les liquidités le composant sont entre les mains du notaire, celui-ci pourra en disposer pour régler les frais qui en principe incomberaient au légataire universel qui recueille l’ensemble de la succession et donc de ses charges. Or, en l’espèce, il manque juridiquement un maillon … Dans notre cas d’espèce, le légataire universel n’a rien perçu de cette succession. Dès lors, il ne peut être juridiquement tenu de régler sur ses deniers personnels les frais subséquents à cette succession problématique. Il lui appartiendra donc de confier au notaire le règlement de ces derniers. Notons déjà une note de clarté – dans cet ensemble plus sombre – à la condition sine qua non que des liquidités soient disponibles …


Les propositions - A présent conscient de la situation délicate dans laquelle peut se retrouver un légataire universel lorsqu’il est parti pris d’une succession conflictuelle faisant suite à une première succession, nous ajoutons à notre proposition relative au paiement de la provision des droits de succession [8] trois nouvelles.

S’agissant tout d’abord de la qualité même de légataire universel. Ce dernier a, nous l’avons précisé plus tôt, vocation à recueillir l’ensemble de la succession. Certes, cette qualité parait à convoiter tant elle est, dans les textes, séduisante. D’ailleurs, lorsque le notaire propose de confier cette qualité à l’une des personnes que le futur testateur souhaite gratifier au jour de son décès, nul doute que le professionnel vante cette qualité à son client. Dans notre cas d’espèce, le choix fait au décès de son épouse vient annihiler les prérogatives du légataire universel. Il appartient au notaire d’insister sur ce point en son étude au moment de son rendez-vous conseil avec son client. Cela relève de son devoir de conseil - devoir certes issu de la création prétorienne dépourvu de définition légale mais qui n’en est pas moins absolu [9]. Cette recommandation à destination des notaires est d’autant plus importante que désigner un bénéficiaire de la quotité disponible présage souvent d’une succession difficile.

Le Code civil doit subir quelques modifications. Il est, en effet, indispensable que le législateur intervienne en ajoutant un alinéa à l’article 772 du Code civil lequel imposerait un nouveau délai à l’expiration duquel il incomberait à un héritier ou légataire de se positionner clairement quant au devenir du tènement immobilier composant la succession. Ce délai sera raccourci dès lors que le tènement fait l’objet d’une offre d’achat. Ce positionnement impératif sous délai aurait comme fondement l’article 815 du Code civil[10] selon lequel « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision (…). » Aussi, pour éviter l’indivision successorale il convient de permettre aux héritiers d’en sortir rapidement faute de ne pouvoir y échapper.

Le Code civil devrait également connaitre une disposition prévoyant que tous les six mois à compter du décès du de cujusen cas de désaccord ou de silence ne permettant pas de régler la succession une médiation entre les parties peut être provoquée par chacune des parties à la succession. Cette médiation prendrait la forme d’une rencontre en présence des notaires respectifs afin qu’ensemble, ils puissent évoquer à leurs clients l’état de règlement de la succession et les blocages existants. Cette rencontre aurait pour but la prise de conscience des héritiers récalcitrants ou bloquants par simple mauvaise foi.

L’ensemble de ces dispositions que nous appelons de nos vœux serait autant d’armes pacifistes à la disposition du légataire universel englué dans une succession qui lui promettait bien des avantages neutralisés par une succession antérieure à laquelle il n’était même pas parti et dont il récupérera bien indirectement qu’une infime part. Ces dispositions, ultime rempart contre l’action en liquidation-partage devant les tribunaux, seraient en totale conformité avec les articles 56 et 58 du code de procédure civile [11] imposant depuis le 1er avril 2015 au demandeur à l’action de préciser dans son assignation, sa déclaration, ou sa requête « les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ».


Plus encore en matière de successions que dans d’autres domaines, la pensée d’Honoré de Balzac doit être entendue tant il est vrai qu’« un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ».

 

[1] Une personne physique qui n’a qu’un seul enfant verra sa réserve héréditaire équivalente à la moitié de son patrimoine ; celle qui a deux enfants aura une réserve héréditaire de deux tiers de son patrimoine.


[2] Civ. 1ère, 11 mai 2016, n°14-16967, FS -P + B


[3] Art. 771 du Code civil – issu de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 : L'héritier ne peut être contraint à opter avant l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de l'ouverture de la succession.

A l'expiration de ce délai, il peut être sommé, par acte extrajudiciaire, de prendre parti à l'initiative d'un créancier de la succession, d'un cohéritier, d'un héritier de rang subséquent ou de l'État.


Art. 772 du Code civil - issu de la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 : Dans les deux mois qui suivent la sommation, l'héritier doit prendre parti ou solliciter un délai supplémentaire auprès du juge lorsqu'il n'a pas été en mesure de clôturer l'inventaire commencé ou lorsqu'il justifie d'autres motifs sérieux et légitimes. Ce délai est suspendu à compter de la demande de prorogation jusqu'à la décision du juge saisi.

A défaut d'avoir pris parti à l'expiration du délai de deux mois ou du délai supplémentaire accordé, l'héritier est réputé acceptant pur et simple.


[4] Art.641 du Code général des impôts : Les délais pour l'enregistrement des déclarations que les héritiers, donataires ou légataires ont à souscrire des biens à eux échus ou transmis par décès sont :

  • De six mois, à compter du jour du décès, lorsque celui dont on recueille la succession est décédé en France métropolitaine ;

  • D'une année, dans tous les autres cas.


[5] Art.1727 du Code général des impôts


[6] Civ. 1ère 3 avril 2019, n°18-14015


[7] Ndlr : le bien est ici en indivision du fait de l’option successorale choisie au décès de la conjointe du de cujus. Cf. infra


[8] Cf. supra la plus grande souplesse de l’administration fiscale lorsque ce dernier verse provision pour éviter les pénalités de retard.


[9] Civ. 1ère 3 avr. 2007, n°06-12.831, P+B. – voir en ce sens, PARANCE (B.), « La confirmation très nette du caractère absolu du devoir de conseil des notaires » Lamy droit du contrat, septembre 2007 


[10] Art.815 du Code civil modifié par la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 - art. 2 JORF 24 juin 2006 en vigueur le 1er janvier 2007


[11] Décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends - NOR :  JUSC1404863D - JORF n°0062 du 14 mars 2015 page 4851 texte n° 16



réf. : JEANPIERRE (V.), "Le légataire universel ou la possible vocation", Doctrin'Actu janvier 2020, art. 119


Photo by Ronaldo de Oliveira on Unsplash

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