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Les conséquences prévisibles du Brexit sur les sociétés

Dernière mise à jour : 29 août 2019


29 mars 2017 : c’est la date qui acte le déclenchement de l’article 50 du traité sur l’Union européenne [1] marquant le point de départ du Brexit. À moins de trois mois du retrait effectif du Royaume-Uni de l’Union européenne, de nombreuses incertitudes demeurent sur le plan juridique, en particulier sur le droit des sociétés.


En effet, les sociétés ont joué un rôle clef dans la construction européenne, leur mobilité étant perçue comme un outil d’accroissement et de développement du marché commun. Le nombre de sociétés qui se sont implantées en Angleterre et en France et qui exercent réciproquement leurs activités dans l’autre État a par ailleurs considérablement augmenté, de sorte que le Brexit aura nécessairement des effets sur celles-ci ; effets qui peuvent d’ores et déjà être examinés.


Les conséquences sur le droit d’établissement


Au préalable, il convient de rappeler que les sociétés bénéficient au sein de l’Union européenne d’un privilège : le droit d’établissement. En vertu des articles 49 et 54 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne [2], il suffit qu’une société soit régulièrement constituée selon la loi d’un État membre et qu’elle ait son siège statutaire ou son principal lieu d’établissement en Europe pour bénéficier de la liberté d’établissement. Trois célèbres arrêts de la Cour de justice sont venus parachever cette prérogative et méritent d’être évoqués pour la compréhension du sujet :

  • l’arrêt Überseering [3], selon lequel l’État d’accueil doit reconnaître la capacité juridique des sociétés régulièrement constituées selon la loi d’un autre État membre ;

  • l’arrêt Inspire Art [4], qui précise que les raisons pour lesquelles une société choisit de se constituer dans un État membre sont sans conséquence au regard de la liberté d’établissement ;

  • et enfin, l’arrêt Centros [5], selon lequel il importe peu qu’une société n’ait été constituée dans un État membre qu’en vue de s’établir dans un second où serait exercé l’essentiel de ses activités économiques.


Les enjeux du droit d’établissement étant établis, quels seraient les impacts du Brexit sur celui-ci ?


S’agissant des sociétés immatriculées dans un État membre, le Brexit n’emportera pas de véritables conséquences car les sociétés seront reconnues au Royaume-Uni en vertu de la théorie de l’incorporation qui vise à reconnaître le lieu de constitution des sociétés.


En revanche, pour toutes les sociétés immatriculées au Royaume-Uni, le Brexit aura des effets sur le droit d’établissement car à la suite de son retrait, le Royaume-Uni deviendra un État tiers à l’Union européenne. Ainsi, certains États pourraient être tentés d’invoquer la théorie du siège réel pour ne pas reconnaître une société qui serait immatriculée au Royaume-Uni mais dont le siège effectif serait situé dans un autre État.


Les conséquences sur la lex societatis 


La lex societatis, c’est-à-dire la loi applicable à la société, est déterminée au moyen de la règle de conflit de loi qui repose sur un critère de rattachement prédéterminé. Pour rappel, le Royaume-Uni fait le choix du critère de l’incorporation, à savoir que la loi applicable est celle du lieu de constitution de la société. À l’inverse, l’Allemagne a recours au critère du siège réel, tandis que la France opte de son côté pour le critère du siège statutaire [6] étant précisé que le siège statutaire de la société est présumé être son siège réel.


S’agissant des sociétés immatriculées dans un État membre, le Brexit aura, une nouvelle fois, peu d’impact en vertu de la fameuse théorie de l’incorporation qui permettra d’appliquer la loi de l’État membre de constitution.


En revanche, pour toutes les sociétés immatriculées au Royaume-Uni et dont les activités seraient situées dans l’espace européen, les États membres pourraient être amenés à réclamer l’application de leur propre législation en prétextant que le siège réel se situe sur leur sol.


Par ailleurs, chaque État membre pourra refuser d’immatriculer la succursale d’une société britannique, et se détourner ainsi de la jurisprudence Centros qui autorisait le contournement de la loi locale par l’implantation d’une succursale en tant qu’établissement principal.


Les conséquences sur les transferts de siège 


Aujourd’hui, et ce depuis l’arrêt Daily Mail [7], l’État membre d’origine peut empêcher une société de transférer son siège de direction si elle souhaite en même temps conserver son droit d’origine. La jurisprudence Cartesio [8] est venue préciser que seule la loi d’origine peut autoriser, soumettre à condition, ou interdire le déplacement du siège réel, à l’inverse de la loi du pays d’accueil qui ne peut en aucun cas constituer une entrave à la liberté d’établissement.


Or, avec le Brexit, ces prérogatives disparaitront et l’État membre d’accueil pourra refuser tout transfert de siège d’une société britannique dans le but de changer de loi applicable.


Les conséquences sur les fusions transfrontalières 


Depuis l’arrêt Sevic Systems [9], la Cour de justice admet la possibilité d’effectuer une opération de fusion entre une société ayant accès à la liberté d’établissement et une société d’un autre État membre.


Une fois le retrait devenu effectif, le Royaume-Uni perdra cette prérogative qu’est la liberté d’établissement, et par là-même la possibilité d’effectuer librement une fusion transfrontalière avec une société d’un État membre de l’Union européenne.


Les États membres pourront quant à eux refuser l’enregistrement d’une opération de fusion avec une société britannique sans que cela n’entrave le principe du droit d’établissement. Il faut néanmoins relativiser l’impact du Brexit puisqu’une opération de fusion sera toujours possible mais il s’agira désormais d’une fusion transfrontalière réalisée en dehors de l’Union européenne.


Les conséquences du Brexit sur les sociétés commencent déjà à se dessiner et ne sont pas négligeables. Reste à voir comment les praticiens et les juges se saisiront des problématiques juridiques qui se poseront à eux, tant sur la reconnaissance que la mobilité des sociétés, au lendemain du Brexit.


 

[1] Art. 50 du traité sur l’Union européenne


[2] Art. 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne


[3] CJCE, 5 novembre 2002, Überseering, n° C-208/00


[4] CJCE, 30 septembre 2003, Inspire Art, n° C-167/01


[5] CJCE, 9 mars 1999, Centros, n° C-212/97


[6] Art. 1837 Code civil et art. L210-3 C. com.


[7] CJCE, 27 septembre 1988, Daily Mail, 81/87


[8] CJUE, 13 décembre 2008, Cartesio, n° C-210/06


[9] CJCE, 13 décembre 2005, Sevic Systems, n° C-411/03



réf. : CLAIR (C.), "Les conséquences prévisibles du Brexit sur les sociétés", Doctrin'Actu janvier 2019, art. 19

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