Les nouveaux véhicules électriques individuels : la fin du non-droit !

Résumé : Deux idées reçues sur les nouveaux véhicules électriques individuels (trottinettes électriques, gyropodes, etc.) méritent d’être combattues : la première, c’est qu’ils n’auraient pas besoin d’être assurés ; la seconde, c’est qu’ils pourraient circuler partout. Or, c’est tout l’inverse aujourd’hui : ces engins doivent être assurés pour garantir la responsabilité civile du conducteur et sont obligés de circuler sur une voie particulière.
1. Le début de la fin. Les nouveaux véhicules électriques individuels sont aux vélos ce que la cigarette électronique est à la cigarette classique : une récente évolution qui a surgi en France et dont le législateur a dû se saisir. Aujourd’hui, grâce au décret n° 2019-1082 du 23 octobre 2019 relatif à la réglementation des engins de déplacement personnel, les nouveaux véhicules électriques individuels peuvent enfin prétendre à une place dans notre système juridique.
2. Définition. Les nouveaux véhicules électriques individuels sont des petits engins motorisés de transport terrestre d’une personne. Aujourd’hui, ils foisonnent dans nos rues et dans le commerce. En 2018, selon la Fédération des Professionnels de la Micro-Mobilité, il s’est vendu 232 749 trottinettes électriques en France. Le skateboard électrique arrive en deuxième place avec 26 000 exemplaires écoulés sur l’année. Enfin, la gyroroue représente quant à elle 4 181 exemplaires en 2018. Mais ils ne représentent pas à eux seuls tous les nouveaux véhicules électriques individuels : il existe aussi le gyropode [1], le mini-gyropode faussement appelé hoverboard [2], les rollers électriques, etc. Qui sait quel nouvel engin sera créé demain pour répondre à cette définition.
Ces nouveaux engins ont posé deux problèmes qui sont aujourd’hui résolus : l’assurance et la circulation.
§1 L’assurance obligatoire de responsabilité
3. Assurance obligatoire ?. Aujourd’hui, et depuis la loi n° 58-208 du 27 février 1958 instituant une obligation d’assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur, tout conducteur de véhicule terrestre à moteur est obligé de souscrire une assurance couvrant sa responsabilité civile en cas d’accident de la circulation [3]. La question qui se pose est donc simple : soit les nouveaux véhicules électriques individuels sont des véhicules terrestres à moteur et donc, ils doivent être obligatoirement assurés ; soit ils ne le sont pas, et l’assurance de responsabilité n’est pas obligatoire.
4. Réponse des assureurs. Certaines compagnies d’assurance prétendaient que les nouveaux véhicules électriques individuels ne devaient être assurés que si leur vitesse dépasse 6 kilomètres par heure. À l’appui de leur raisonnement, ils brandissaient la directive européenne n° 2002/24/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 mars 2002 relative à la réception des véhicules à moteur à deux ou trois roues du 18 mars 2002 et l’arrêté du 2 mai 2003 transposant cette directive. Or, l’argument était faux car les textes étaient relatifs à la réception de ces véhicules, c’est-à-dire l’homologation administrative. C’est ainsi que l’article 1er de l’arrêté définit la réception comme l’acte par lequel il est constaté qu’un type de véhicule satisfait à certaines exigences, qui varient en fonction de la réception concernée. C’est d’ailleurs ce même article 1er qui précise que les véhicules ne sont pas soumis à réception s’ils ont « une vitesse maximale par construction ne dépassant pas 6 kilomètres par heure ». Autrement dit, la vitesse ne détermine pas si l’engin est un véhicule terrestre à moteur ou non.
Ce raisonnement est, encore aujourd’hui, tenu par Lelynx.fr.
5. Réponse du droit positif. Pour savoir si les nouveaux véhicules électriques individuels doivent être obligatoirement assuré, il suffit d’analyser la définition du véhicule terrestre à moteur. Est un véhicule terrestre à moteur, selon l’article L. 211-1 alinéa 1er du Code des assurances, « tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée » . Autrement dit, un véhicule terrestre à moteur est un engin [4], doté d’un moteur autonome [5] et destiné à se mouvoir sur le sol [6]. Sont exclus les trains et tramways.
Tous les nouveaux véhicules électriques individuels répondent à cette définition : ils sont tous dotés d’un moteur autonome et ne se déplacent que sur le sol. Par conséquent, ils sont des véhicules terrestres à moteur et doivent donc tous être assurés.
C’est notamment le raisonnement qu’adoptent la Fédération Française de l’Assurance, Aviva, Allianz, LCL, la MAAF, le Crédit mutuel, la MAIF, etc.
§2 La circulation
6. Quelle voie de circulation ?. Aujourd’hui, trois voies de circulations sont envisageables pour les nouveaux véhicules électriques individuels. Sauf qu’avant le décret n° 2019-1082 du 23 octobre 2019 relatif à la réglementation des engins de déplacement personnel, ces engins ne pouvaient circuler nulle part.
A. Le « droit » antérieur au décret
7. Le trottoir : non. Ne peuvent circuler sur le trottoir que les piétons [7]. Reste donc à savoir ce qu’est un piéton : il s’agit d’une personne qui circule à pied, ce qui ne correspond pas au nouveaux véhicules électriques individuels. Sont également assimilés aux piétons [8] :
« Les personnes qui conduisent une voiture d'enfant, de malade ou d'infirme, ou tout autre véhicule de petite dimension sans moteur ». Cela ne correspond pas aux nouveaux véhicules électriques individuels car ces derniers ont toujours un moteur.
« Les personnes qui conduisent à la main un cycle ou un cyclomoteur ». Cela ne vaut pas non plus pour les nouveaux véhicules électriques individuels, puisque qu’ils ne sont pas conduits à la main.
« Les infirmes qui se déplacent dans une chaise roulante mue par eux-mêmes ou circulant à l'allure du pas ». Ce n’est toujours pas le cas des nouveaux véhicules électriques individuels car ce ne sont pas des chaises roulantes.
En clair, les nouveaux véhicules électriques individuels ne peuvent pas circuler sur le trottoir.
8. La piste ou bande cyclables : non. Le Code de la route définit la piste cyclable comme une « chaussée exclusivement réservée aux cycles à deux ou trois roues » [9]. Concernant la bande cyclable, il s’agit d’une « voie exclusivement réservée aux cycles à deux ou trois roues sur une chaussée à plusieurs voies » [10]. Le cycle est défini comme un « véhicule ayant au moins deux roues et propulsé exclusivement par l'énergie musculaire des personnes se trouvant sur ce véhicule, notamment à l'aide de pédales ou de manivelles » [11]. Cette définition ne correspond pas aux nouveaux véhicules électriques individuels, qui ne sont pas propulsés exclusivement par l’énergie musculaire.
Les nouveaux véhicules électriques individuels ne peuvent donc pas circuler sur les pistes et bandes cyclables.
9. La chaussée : non. La chaussée est la « partie de la route normalement utilisée pour la circulation des véhicules » [12]. Il est donc tentant d’affirmer que les nouveaux véhicules électriques individuels doivent circuler sur celle-ci puisqu’ils sont des véhicules. Mais une autre disposition du Code de la route vient interdire leur circulation sur la chaussée : selon l’article L. 321-1-1 de ce code, « le fait de circuler sur les voies ouvertes à la circulation publique ou les lieux ouverts à la circulation publique ou au public avec [un véhicule] non soumis à réception est puni d'une contravention de la cinquième classe ». Or la réception n’est pas obligatoire pour les nouveaux véhicules électriques individuels.
Par conséquent, les nouveaux véhicules électriques individuels ne peuvent pas circuler sur la chaussée.
10. Le projet de loi. Cette situation de non-droit dans laquelle se trouvaient les usagers de nouveaux véhicules électriques individuels ne pouvait plus durer, notamment parce que ces engins sont de plus en plus utilisés dans les grandes villes. Le projet de loi d’orientation des mobilités, déposé le 26 novembre 2018 au Sénat et toujours en cours de discussion actuellement [13], consacre un article 21 sur les nouveaux véhicules électriques individuels : il va ajouter un alinéa à l’article L. 2213-1-1 du Code général des collectivités territoriales précisant que le maire peut déroger, par arrêté motivé, aux règles prévues dans le Code de la route pour la circulation des engins de déplacement personnel, dans des conditions fixées par décret. Mais encore faut-il qu’il y ait des règles dans ce code sur les nouveaux véhicules électriques individuels.
B. Le nouveau droit institué par le décret
11. La fin du non-droit. Le Gouvernement, après tant d’attente sur ce texte, a enfin réussi à décréter des règles pour les usagers de nouveaux véhicules électriques individuels ou plutôt, comme le Code de la route les appelle désormais, les engins de déplacement personnel : c’est le décret n° 2019-1082 du 23 octobre 2019, publié au Journal Officiel le vendredi 25 octobre 2019. Trente et un articles composent ce décret et nous proposons d’en évoquer les principaux car celui-ci va plus loin que la simple précision de la voie de circulation de ces engins.
12. Entrée en vigueur. Sauf dispositions contraires, tout acte administratif entre en vigueur au lendemain de sa publication [14]. Le décret est donc entré en vigueur le 26 octobre 2019 sauf pour les articles 4, 5, 7, 8 et 11 : ils entreront en vigueur au 1er juillet 2020 selon son article 30.
13. Définition. L’article 3 du décret pose une définition de l’engin de déplacement personnel à l’article R. 311-1 du Code de la route : il peut être motorisé ou non [15].
« 6.15. Engin de déplacement personnel motorisé : véhicule sans place assise, conçu et construit pour le déplacement d'une seule personne et dépourvu de tout aménagement destiné au transport de marchandises, équipé d'un moteur non thermique ou d'une assistance non thermique et dont la vitesse maximale par construction est supérieure à 6 km/h et ne dépasse pas 25 km/h. Il peut comporter des accessoires, comme un panier ou une sacoche de petite taille. »
Tout d’abord, l’engin est conçu et construit pour le déplacement d’une personne. Cela signifie donc que le juge n’est pas lié par l’utilisation qu’en font les usagers. Cette précision est importante car beaucoup de personnes utilisent à deux les trottinettes électriques : c’est notamment le cas d’un parent avec son enfant. Dans cette situation, il s’agit toujours d’un engin de déplacement personnel car la trottinette a été conçue pour une seule personne.
Ensuite, l’engin ne doit pas être pourvu d’une place assise. Cependant, le décret s’empresse de mentionner que si le gyropode comporte une selle, il reste un engin de déplacement personnel motorisé.
En outre, l’engin ne doit pas être aménagé pour le transport de marchandises. Pour autant, il peut être doté d’un panier ou d’une sacoche. Cela signifie que l’engin nu ne doit pas rendre possible le transport de choses mais que l’usager peut y ajouter des éléments le permettant.
De plus, la vitesse maximale par construction doit être comprise entre 6 et 25 kilomètres par heure. Il faut se garder d’une confusion : il s’agit ici de la qualification « engin de déplacement personnel motorisé », qui dépend donc de la vitesse par construction.
Lorsqu’il s’agit de la qualification « véhicule terrestre à moteur », la vitesse, pour rappel, ne rentre pas en considération.
Enfin, le texte termine en énonçant que les engins exclusivement destinés aux personnes à mobilité réduite sont exclus de cette catégorie.
14. Voie de circulation. À son article 2, le décret modifie l’article R. 110-2 du Code de la route de manière à autoriser les usagers d’engins de déplacement personnel à circuler… Sur les pistes et bandes cyclables !
Ils sont également autorisés à circuler sur les voies vertes. Enfin pour les zones de rencontre et les zones 30, les chaussées sont à double sens pour les usagers d’engins de déplacement personnel, comme pour les cyclistes.
En l’absence de piste ou bande cyclables, ces usagers peuvent circuler sur les voies dont la vitesse maximale autorisée est inférieure à 50 kilomètres par heure. Hors agglomération, leur circulation est interdite. Tout ceci est précisé à l’article 23 du décret, qui crée une Section 6 bis entièrement consacrée à la circulation des engins de déplacement personnel motorisés.
15. Largeur et longueur de l’engin. Selon les articles 4 et 5 du décret, la largeur des engins de déplacement personnel ne peut dépasser 0,90 mètre [16], la longueur 1,35 mètre [17]. Ces deux dispositions entrent en vigueur au 1er juillet 2020 selon l’article 30 du décret, pour permettre aux constructeurs et usagers de se conformer à cette réglementation.
16. Signalement visuel. L’article 6 du décret procède par élimination en précisant quels textes ne sont pas applicables aux engins de déplacement personnel motorisés. En procédant de façon inverse, on note que ces engins doivent posséder un feu jaune ou blanc de position avant [18] mais pas diurne, un feu de position arrière [19], un ou plusieurs catadioptres arrière [20], plusieurs catadioptres latéraux oranges [21] et un catadioptre avant blanc [22].
17. Signalement sonore. Les engins de déplacement personnel doivent posséder les mêmes signaux d’avertissement sonore que ceux des cycles : timbre ou grelot dont le son peut être entendu à 50 mètres au moins[2 3].
18. Freinage. Si l’existence de deux systèmes indépendants de freinage n’est pas nécessaire [24] selon l’article 10, l’engin de déplacement personnel doit être muni d’un dispositif de freinage efficace précisé par un arrêté du ministre chargé de la sécurité routière et du ministre chargé des transport [25] en vertu de l’article 11 du décret. Ce dernier entre en vigueur au 1er juillet 2020 d’après l’article 30.
19. Affaire à suivre. En définitive, c’est tout un droit des nouveaux véhicules électriques individuels qui a été consacré par le décret n° 2019-1082 du 23 octobre 2019. Attention cependant à ne pas oublier que le jour où la loi d’orientation des mobilités sera promulguée, les maires pourront édicter des réglementation différentes. Une preuve que l’Administration locale n’est pas morte. Mais pour cela, encore faut-il attendre que cette loi sorte des carcans du législateur.
[1] Parfois appelé Segway, du nom du constructeur.
[2] En raison de leur ressemblance avec le hoverboard de la saga « Retour vers le futur ».
[3] C. assur., art. L. 211-1, al. 1er.
[4] Le « caddie » n’est pas un engin (Cass. 1re civ., 14 juin 1984, n° 83-11.277 : Bull. civ., I, n° 200, p. 168).
[5] Ce qui exclut les engins tractés par l’Homme ou les animaux : Cass. crim., 17 juin 1986, n° 85-92.271 : Bull. crim., n° 211, p. 539.
[6] N’est pas un véhicule terrestre : l’aéronef, le scooter des mers, le navire, l’hélicoptère, etc.
[7] C. route, art. 412-34, I.
[8] C. route, art. 412-34, II.
[9] C. route, art. R. 110-2, al. 11.
[10] C. route, art. R. 110-2, al. 5.
[11] C. route, art. 311-1, 6.10.
[12] C. route, art. R. 110-2, al. 9.
[13] Alors que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée.
[14] C. civ., art. 1.
[15] S’il n’est pas motorisé, il s’agit d’un « véhicule de petite dimension sans moteur ».
[16] C. route, art. R. 312-10, 7°.
[17] C. route, art. R. 312-11, 12°.
[18] C. route, art. R. 313-4, X.
[19] C. route, art. R. 313-5, V.
[20] C. route, art. R. 313-18, V.
[21] C. route, art. R. 313-19, III.
[22] C. route, art. R. 313-20, IV.
[23] C. route, art. R. 313-33, al. 3.
[24] C. route, art. R. 315-1, I.
[25] C. route, art. R. 315-7, I.
réf. : NIVERT (A.), "Les nouveaux véhicules électriques individuels : la fin du non-droit !", Doctrin'Actu novembre 2019, art. 102