Les Sociétés Pluri-professionnelles d’Exercice (S.P.E) : Faut-il s’unir ?

Les Sociétés Pluri-professionnelles d’Exercice (S.P.E) ont vu le jour avec la loi Macron (1) complétée par l’ordonnance n°2016-394 du 31 mars 2016 (2) modifiant la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990.
Depuis, l’exercice en commun de plusieurs professions libérales soumises à un statut législatif ou règlementaire, ou dont le titre est protégé, est possible.
Quelques sociétés pluri-professionnelles ont émergé entre avocats et experts comptables, notaires et huissiers de justice… Pourtant, pour certains professionnels, il était nécessaire de clarifier les modalités d’application de ladite ordonnance.
C’est pourquoi l’ordonnance du 31 mars 2016 a fait l’objet d’un déferrement. Le Conseil d’État s’est prononcé le 17 juin 2019 (3) sur plusieurs points.
1/ Le secret professionnel
Chaque professionnel est soumis aux règles du secret professionnel qui régissent sa profession. Cependant, le Conseil d’État précise que la communication avec les membres de la S.P.E exerçant une autre profession n’est possible qu’à la double condition :
D’être nécessaire à l’accomplissement de la mission et donc dans l’intérêt du client ;
Que le client en soit informé.
Cette possibilité ouverte par le Conseil d’État s’inscrit dans l’objectif d’intérêt général qui est à l’origine même des S.P.E.
Il est également possible de solliciter l’accord exprès du client pour la levée du secret professionnel au sein de la S.P.E. Le Conseil d’État a considéré que cette dérogation au secret professionnel était conforme à la DDHC et à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Cette levée totale du secret professionnel peut s’avérer opportune dans le cadre de l’utilisation d’une base de données commune qui permettrait l’accès aux informations personnelles du client par chaque professionnel.
Toutefois, une exception demeure pour les mandataires et administrateurs judiciaires pour lesquels le mandat judiciaire doit préciser qu’ils sont autorisés à partager les informations.
2/ L’assurance au titre de la responsabilité civile professionnelle
Le Conseil d’État précise que « l’article 31-11 de l’ordonnance n’a ni pour objet, ni pour effet de permettre que les dommages survenus dans l’exercice d’une profession au sein de la société puissent être couverts par le mécanisme de garantie collective d’une autre profession également exercée au sein de la société ».
Il n’existe pas de contrat unique d’assurance pour la S.P.E. Il convient de souscrire un contrat d’assurance pour chaque profession.
3/ L’exercice d’activités commerciales à titre accessoire
L’ordonnance prévoit dans son article 3 : « la société peut exercer, à titre accessoire, toute activité commerciale dont la loi n’interdit pas l’exercice à l’une au moins des professions qui constituent son objet social ».
Le Conseil d'État a éclairci ce point en précisant que si l'une des professions, faisant partie de la société, ne peut exercer d'activité commerciale, cela s'étend aux autres professions, même si elles en avaient initialement le droit.
En conséquence, une S.P.E composée d'Huissiers de Justice ne peut pas exercer d'activités commerciales, comme pour tout officier ministériel, contrairement aux Expert Comptables.
4/ Le respect des principes déontologiques
Le Conseil d’État rappelle qu’il n’y a pas de création de règles spécifiques aux S.P.E en matière de déontologie. Chaque profession respecte les règles déontologiques la régissant et déjà existantes.
Les incompatibilités d’exercice d’autres activités applicables pour chaque profession demeurent applicables à la S.P.E, notamment avec des fonctions civiles, publiques, politiques …
Pourtant, l’article 31-8 de l’ordonnance prévoit que « chaque professionnel qui exerce au sein de la société informe celle-ci et les autres professionnels, dès qu’il en a connaissance, de l’existence de tout conflit d’intérêt susceptible de naître, d’une part, en sa qualité de professionnel et toute autre activité professionnelle qu’il exerce ou tout intérêt qu’il détient en dehors de la société, d’autre part, entre l’exercice de son activité professionnelle et l’exercice par les autres professionnels de leur activité ».
Cette disposition semble toutefois être une règle déontologique spécifique et propre aux S.P.E.
5/ Annulation du 2° de l’article 6 de l’ordonnance modifiant l’article L722-7 du code de la propriété intellectuelle
Cette disposition venait supprimer les règles de majorité du capital social et des droits de vote prévues par le code de la propriété intellectuelle.
Il semblerait que le Conseil d’État ait répondu aux interrogations notamment pratiques des professionnels concernés par les S.P.E. Pourtant, leurs créations restent rares. On peut se demander si cette mutualisation des professions correspond réellement aux besoins actuels ou si simplement, le manque de clarté persiste.
La version en vigueur de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 fera l’objet d’une consolidation le 1er juillet 2022 avec la naissance des commissaires de justice.
(1) La loi n° 2015-990 du 6 août 2015
(2) Ordonnance n°2016-394 du 31 mars 2016
(3) Décision du 17 juin 2019 (n° 400192, 400208, 400267, 400290, 400332) rendue par le Conseil d’État
réf. : NEYME (J.), "Les Sociétés Pluri-professionnelles d’Exercice (S.P.E) : Faut-il s’unir ?", Doctrin'Actu octobre 2019, art. 99
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