Passe sanitaire : décryptage d’un dispositif controversé
Le nécessaire encadrement juridique et règlementaire d’un dispositif exceptionnel justifié par des impératifs de protection de la santé publique

Dans le cadre de la gestion de la situation sanitaire actuelle, impactée par la pandémie de SARS-CoV-2 qui s’est répandue dans une dimension mondiale depuis plusieurs mois, nous assistons à l’adoption de diverses mesures exceptionnelles sur le plan national justifiées par des nécessités de protection de la santé publique.
Ainsi, l’usage des technologies de l’information et de la communication a naturellement été étendu, du fait des avantages qu’elles présentent notamment en termes de fluidification des échanges.
Toutefois, le numérique n’est pas à ce jour accessible à l’ensemble de la population française, pour des raisons diverses tenant par exemple à l’âge des utilisateurs, à leur situation géographique, etc. En effet, 13 millions de citoyens français demeureraient éloignés du numérique [1]. Afin d’éviter toute discrimination sur ce fondement, les dispositifs mis en œuvre dans le cadre de la lutte contre la pandémie mondiale susmentionnée ont dû inclure des solutions papiers lors de leur déploiement.
C’est notamment le cas du Passe sanitaire, adopté de manière élargie sur le plan national depuis la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire [2]. Ce dispositif de contrôle conditionne l’accès, pour le moment seulement aux personnes majeures, à certains lieux dont la liste limitative figure dans le texte précité, à la présentation d’un schéma vaccinal complet, d’un test PCR, antigénique ou d’un autotest supervisé par un professionnel de santé présentant un résultat négatif de moins de 72h, ou encore d’un test RT-PCR ou antigénique dont le résultat positif date d’au moins 11 jours et de moins de 6 mois et atteste d’un rétablissement du Covid-19 [3]. La preuve constitutive du Passe sanitaire contient un QR-code [4], « flashé à l’aide de l’application TousAntiCovid Verif par les personnes habilitées à effectuer le contrôle ». Dans ce cadre, la présidente de la CNIL [5], Madame Marie-Laure Denis, a rappelé lors de son audition en date du 21 juillet dernier devant la Commission des lois du Sénat sur le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, l’importance de « respecter le choix de chacun quant à l’utilisation d’une solution numérique ou papier afin d’assurer un accès égal à tous aux lieux de la vie quotidienne, alors qu’une personne sur cinq environ ne dispose pas d’équipements mobiles adéquats ou peut éprouver des difficultés pour utiliser un dispositif numérique »[6].
Le Passe sanitaire, faisant l’objet de nombreuses controverses, a été adopté dans le cadre du plan national de réouverture sur le fondement de la protection de la santé publique, composante de l’ordre public. Ainsi, son objectif est de limiter les risques de propagation du virus Covid-19 tout en permettant l’accès à certains lieux de loisirs, sportifs, de culture et salons professionnels qui supposent la réunion d’un nombre important de personnes. Ce dispositif est également mis en œuvre au titre du « certificat numérique de l’UE et du contrôle sanitaire aux frontières. Il permet de sécuriser l’entrée sur le territoire métropolitain, de faciliter la mise en œuvre des mesures de contrôle sanitaire aux frontières ainsi que d'agir contre la falsification des documents de preuves » [7].
Un encadrement juridique et règlementaire strict a donc été nécessaire afin de limiter les dérives qu’un tel dispositif pourrait présenter sur le plan éthique notamment.
Un dispositif exceptionnel proportionné aux objectifs poursuivis
Du fait de son caractère attentatoire aux droits et libertés fondamentaux des individus tels que la liberté d’aller et venir, le droit de consentir ou refuser un acte médical etc., la justification du Passe sanitaire à travers une nécessité de protection de la santé publique s’est avérée indispensable. Ledit dispositif a donc dû comprendre des dispositions proportionnées à l’objectif de protection de santé publique recherché, sans que l’atteinte aux droits et libertés fondamentaux des individus ne soit excessive.
A titre d’exemple, le Conseil National de l’Ordre des Médecins, dans le cadre d’un communiqué publié le 2 août dernier [8], a tenu à alerter sur la limitation de l’accès aux soins pouvant être présentée par ce dispositif, entrant en vigueur à compter du 9 août 2021. En effet, cette inquiétude concernait la présentation obligatoire du Passe sanitaire « pour pouvoir se rendre dans des services et établissements de santé, sociaux, et médico-sociaux », notamment pour les personnes « qui y sont accueillies pour des soins programmés ». Or, ladite structure émettait des réserves sur cette disposition litigieuse de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire [9] quant à la privation de certains patients des soins nécessaires à leur état de santé.
Le Conseil Constitutionnel s’est notamment prononcé sur cette question dans le cadre de sa Décision n° 2021-824 DC en date du 5 août 2021 [10]. En son considérant n°42, il a estimé que le législateur avait « entouré de plusieurs garanties l'application de ces mesures. S'agissant de leur application aux services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, le législateur a réservé l'exigence de présentation d'un « passe sanitaire » aux seules personnes accompagnant ou rendant visite aux personnes accueillies dans ces services et établissements, ainsi qu'à celles qui y sont accueillies pour des soins programmés. Ainsi, cette mesure, qui s'applique sous réserve des cas d'urgence, n'a pas pour effet de limiter l'accès aux soins ».
En outre, le caractère exceptionnel du Passe sanitaire a également dû être encadré. La présidente de la CNIL a pu alerter sur les risques de banalisation d’une telle mesure attentatoire à la vie privée des individus. En effet, le recours à de tels dispositifs de contrôle doit, selon cette dernière, être strictement limité à des situations limitatives et justifiées par des nécessités impérieuses, ne devant en aucun cas s’appliquer de manière systématique à toute autre épidémie sous prétexte de leur caractère contagieux. Par ailleurs, elle rappelle que cette mesure, à ce jour conforme au principe dit « prorata temporis », ne doit pas avoir pour vocation à s’appliquer de manière prolongée sans justification appropriée.
La nécessaire distinction entre contrôle de la validité du Passe sanitaire et contrôle d’identité
Si la mesure, comme énoncée précédemment, doit être justifiée au regard des impératifs de protection d’ordre public, elle doit également être applicable dans les termes stricts définis par le texte la prévoyant. Il est primordial qu’elle ne soit pas confondue avec d’autres notions juridiques différentes.
Il convient de distinguer à ce titre un contrôle de validité de Passe sanitaire effectué par les professionnels habilités par la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, d’un contrôle d’identité, strictement encadré par le code de procédure pénale [11]. En effet, un contrôle d’identité ne peut être effectué que par un officier de police judiciaire (OPJ) et un agent de police judiciaire ainsi que certains agents de police adjoints sous l’ordre et la responsabilité d’un OPJ [12], à titre préventif afin d’empêcher une atteinte à l’ordre public en qualité de police administrative ou en qualité de police judiciaire dans le cadre de contrôles liés à une infraction, selon le cadre légal applicable en la matière.
Ces dispositions excluent donc la possibilité pour les professionnels habilités à effectuer un contrôle de validité du Passe sanitaire, de contrôler l’identité du détenteur du Passe en cas de doute sur ce dernier.
Il existe donc bien deux niveaux de vérification possibles : le premier effectué par les professionnels habilités relatif au seul contrôle de validité du Passe sanitaire via l’application TousAntiCovid Verif ou de toute autre application équivalente conformes aux conditions définies par arrêté du ministre de la Santé et du ministre chargé du Numérique, et le second qui concerne le contrôle d’identité effectué dans le cadre strict des dispositions du code de procédure pénale par des agents des forces de l’ordre [13].
En effet, comme le précise le gouvernement [14], « la vérification de l’identité du porteur du pass sanitaire n’incombe pas aux personnes en charge de mettre en place le pass (organisateurs de rassemblements, gestionnaires d’établissements), sauf en ce qui concerne les discothèques, ces dernières devant déjà effectuer un contrôle d’identité des personnes en raison de l’interdiction d’accès des mineurs. Les vérifications d’identité dans les transports longue distance sont également possibles, dans la mesure où elles sont déjà très largement réalisées par les opérateurs pour contrôler les billets ou les cartes de réduction ». Il rappelle en outre que les clients, participants et visiteurs des lieux concernés par ce dispositif doivent être en mesure de fournir un justificatif d’identité valable en cas de contrôle de la part des forces de l’ordre, « afin de s’assurer de la concordance entre la preuve sanitaire présentée et l’identité du citoyen ».
Cependant, le cadre légal de la distinction entre ces deux notions inquiète certains professionnels, qui craignent que les fraudes relatives au Passe sanitaire ne se multiplient au sein de leurs structures, en l’absence de contrôles réguliers des forces de l’ordre.
Un encadrement strict du traitement de données personnelles effectué au titre de la vérification de la validité du Passe sanitaire
Outre les questions de contrôle des justificatifs sanitaires permettant d’accéder aux lieux de loisirs, sportifs, de culture et salons professionnels visés par les dispositions légales de la mesure, il est important de comprendre l’encadrement règlementaire du traitement de données personnelles effectué dans ce cadre.
Le QR-code constitutif du Passe sanitaire comprend diverses données à caractère personnel, et notamment des données personnelles de santé faisant l’objet d’un encadrement plus strict du fait des dispositions du RGPD [15]. La question se pose alors de savoir quels sont les destinataires desdites données.
Seuls les professionnels habilités limitativement listés dans le cadre du texte encadrant le Passe sanitaire ont la possibilité, comme vu précédemment, de vérifier la validité du justificatif sanitaire qui leur est présenté dans le cadre de leur activité, via les applications dédiées susmentionnées.
Par ailleurs, au titre du principe de minimisation des données, seules les informations strictement nécessaires à la poursuite de cette finalité sont affichées lorsqu’ils scannent les QR-codes fournis, afin que lesdits professionnels légalement habilités ne disposent que d’un accès très limité aux données personnelles contenues dans le QR-code scanné [16]. En effet, les applications utilisées dans ce cadre ne permettent de bénéficier que d’un niveau d’accès minimum aux données personnelles du détenteur contenues dans le QR-code, à savoir les informations suivantes : « Pass valide/invalide » et « nom, prénom » « date de naissance », sans divulguer davantage d’informations de santé [17]. Les données personnelles collectées à cette occasion ne sont pas conservées par l’application utilisée, permettant ainsi de limiter les risques de violation de données personnelles eu égard notamment à leur confidentialité. La vérification de Passe sanitaire ne peut en outre porter que sur des preuves papiers ou numériques ne permettant pas de divulguer le détail des données de santé qu’elles contiennent, qui ne seraient pas accessibles si le contrôle avait été effectué via une application dédiée de type TousAntiCovid Verif.
Par ailleurs, il est exigé que les professionnels habilités à effectuer de telles vérifications de justificatifs sanitaires soient nommément désignés, et que les dates et horaires des contrôles soient répertoriées au sein de la structure au sein de laquelle ils exercent leur activité, afin d’être en mesure de contrôler les éventuelles fraudes ayant lieu dans ce cadre.
[1] https://societenumerique.gouv.fr/13-millions-de-francais-en-difficulte-avec-le-numerique/ [2] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043909676/ [3] https://www.francenum.gouv.fr/comprendre-le-numerique/tousanticovid-verif-professionnels-comment-utiliser-lapplication-de [4] Nom déposé ; abréviation de l'anglais Quick Response Code, Code-barres 2D de la marque de ce nom https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/QR_Code/188181 [5] Commission nationale de l'informatique et des libertés [6] https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/audition_presidente-cnil_senat-21-07-2021-passe_sanitaire.pdf [7] https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/pass-sanitaire [8] https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/communiques-presse/pass-sanitaire-acces-soins [9] Article 1 I A 2° d) de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire (1) : « Sauf en cas d'urgence, les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, pour les seules personnes accompagnant ou rendant visite aux personnes accueillies dans ces services et établissements ainsi que pour celles qui y sont accueillies pour des soins programmés. La personne qui justifie remplir les conditions prévues au présent 2° ne peut se voir imposer d'autres restrictions d'accès liées à l'épidémie de covid-19 pour rendre visite à une personne accueillie et ne peut se voir refuser l'accès à ces services et établissements que pour des motifs tirés des règles de fonctionnement et de sécurité de l'établissement ou du service, y compris de sécurité sanitaire » [10] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021824DC.htm [11] Articles 78-1 à 78-7 du code de procédure pénale [12] Articles 78-2 alinéa 1 du code de procédure pénale [13] Article 1 I B de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire (1) : « La présentation des documents prévus au premier alinéa du présent B par les personnes mentionnées au 2° du A du présent II est réalisée sous une forme ne permettant pas aux personnes ou aux services autorisés à en assurer le contrôle d'en connaître la nature et ne s'accompagne d'une présentation de documents officiels d'identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l'ordre » [14] FAQ « Pass sanitaire pour les professionnels » https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/cfiles/tac_faq_pro_v8.pdf [15] Règlement général sur la protection des données [16] https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/audition_presidente-cnil_senat-21-07-2021-passe_sanitaire.pdf [17] FAQ « Pass sanitaire pour les professionnels » https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/cfiles/tac_faq_pro_v8.pdf
réf : BENNICHE (M.), " Passe sanitaire : décryptage d’un dispositif controversé ", Doctrin'Actu août 2021, art. 173.