Pour une unité de la nature juridique de l’offre
Dernière mise à jour : 25 oct. 2019

Résumé : L’offre de contracter peut à la fois être qualifiée d’acte juridique et de fait juridique. En réalité, seule la seconde qualification convient le mieux.
1. Un contrat se forme par la rencontre d’une offre et d’une acceptation [1]. Cette offre obéit à un régime juridique précis et clair, notamment grâce à l’intervention de la réforme du droit des contrats. Cependant, sa nature juridique l’est beaucoup moins.
2. Il faut poser les termes du problème. En droit, toute différence de nature entraîne une différence de régime. Par exemple, les règles relatives à la saisie d’un bien meuble ne sont pas identiques à celles de la saisie immobilière parce qu’un meuble n’a pas la même nature juridique qu’un immeuble. Concernant l’offre, un choix s’offre au juriste.
En premier lieu, l’offre peut être est un acte juridique. Cette possibilité se conçoit : elle est une manifestation de volonté puisque selon l’article 1113 du Code civil, c’est par l’offre qu’un sujet de droit manifeste sa volonté. En outre, elle est destinée à produire des effets de droit. Il est donc concevable que l’offre soit un acte juridique. Par conséquent, son régime doit être identique à celui d’un acte juridique : la rétractation n’est pas libre et elle se transmet aux héritiers en cas de décès de son auteur.
En second lieu, il est possible que l’offre soit un fait juridique. C’est un agissement auquel la loi attache des effets de droit. Dans ce cas, l’offre peut être librement rétractée et elle ne se transmet pas aux héritiers si son auteur décède.
3. Après analyse des solutions retenues pour la révocation et la caducité, le droit positif semble opter pour une double nature juridique floue.
Concernant la révocation, la Cour de cassation affirme depuis un siècle que celle-ci est libre [2]. Cependant, l’offre ne peut pas être rétractée avant le délai prévu par son auteur [3]. Dans cette hypothèse, elle serait un engagement unilatéral, donc un acte juridique. Lorsque l’offre ne comporte pas de délai, alors le pollicitant ne peut se rétracter avant l’expiration d’un délai raisonnable [4]. Dans cette hypothèse, il s’agirait pour l’offrant de ne pas être fautif et donc, l’offre aurait davantage la nature d’un fait juridique. Il y a donc une différence de nature juridique de l’offre.
Concernant la caducité de l’offre pour décès de son auteur, la jurisprudence distinguait autrefois entre offre avec délai et offre sans délai : la première n’était pas caduque si son auteur décédait et se transmettait aux héritiers [5] ; la seconde était caduque [6]. Cette distinction a été balayée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et désormais, l’offre est toujours caduque si son auteur décède, que celle-ci soit assortie ou non d’un délai [7]. Le résultat est le suivant : selon le régime juridique de la caducité pour décès du pollicitant, l’offre semble être un fait juridique car elle ne se transmet jamais aux héritiers.
4. La doctrine a essayé d’expliquer ces solutions et de trouver une nature juridique cohérente à l’offre. Pour le professeur Cyril Grimaldi, l’offre est un engagement unilatéral ayant pour objet l’exécution d’une opération projetée : elle contiendrait une obligation conditionnelle d’exécuter le contrat si l’acceptation survient [8]. L’auteur plaide donc pour une exécution forcée de l’offre, ce que ne retient cependant pas le droit positif [9]. La doctrine majoritaire n’apprécie que peu la théorie de l’engagement unilatéral et se refuse à la généraliser. Elle prétend que cette théorie ne s’applique « que dans des circonstances particulières et sous des conditions strictes » [10]. Aujourd’hui, la nature juridique de l’offre est présentée ainsi : elle est un engagement unilatéral si elle est faite à personne et avec un délai déterminé, un fait juridique autrement.
5. Faut-il alors se résoudre à accepter cette dualité de nature juridique ? Nous ne le pensons pas. Lorsque l’offre est formulée avec un délai particulier, le pollicitant ne doit pas se rétracter avant ce délai. Or, s’il le fait, le contrat projeté ne peut pas être conclu, et heureusement. Alors que va obtenir le destinataire de l’offre ? Des dommages-intérêts extracontractuels dit le Code civil [11]. Il est alors permis de penser que l’offre est et reste un fait juridique, même si l’auteur doit maintenir son offre pendant le délai qu’il a prévu. Il ne s’agit pas de respecter son engagement mais simplement, de ne pas être fautif.
[2] Cass. civ., 3 févr. 1919 : D.1923, I, p. 26.
[3] C. civ., art. 1116, al. 1er.
[4] C. civ., art. 1116, al. 1er.
[5] Cass. 3e civ., 10 déc. 1997, n° 95-16.461 : Bull. civ., III, n° 223, p. 150.
[6] Cass. 1re civ., 25 juin 2014, n° 13-16.529 : Bull. civ., I, n° 117.
[7] C. civ., art. 1117, al. 2.
[8] GRIMALDI C., Quasi-engagement et engagement en droit privé, thèse, Defrénois, 2006, préf. LEQUETTE Y.
[9] C. civ., art. 1116, al. 2.
[10] AUBERT J.-L., Notions et rôles de l’offre et de l’acceptation dans la formation du contrat, thèse, LGDJ, 1970, préf. FLOUR J., n° 28.
[11] C. civ., art. 1116, al. 3.
réf. : NIVERT (A.), "Pour une unité de la nature juridique de l’offre", Doctrin'Actu septembre 2019, art. 90
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