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Procédure d’insolvabilité anglaise en France : reconnaissance et ordre public international

Dans un nouvel arrêt, la chambre commerciale de la Cour de cassation se trouve confrontée à une procédure d’insolvabilité ouverte au Royaume-Uni et produisant ses effets en France. Une nouvelle occasion pour la Cour de cassation de remplir son rôle de juge du droit de l’Union européenne.


Dans un arrêt du 16 juillet 2020, la Cour de cassation s’est prononcée sur l'effectivité des effets d'une procédure d'insolvabilité anglaise en France ainsi que sur le rejet de l’exception d’ordre public international. En l’espèce, à la suite de l'ouverture d'une faillite personnelle d'un ressortissant britannique, la « County Court » compétente a désigné un liquidateur du patrimoine du failli. Toutefois, parmi les biens appartenant à ce dernier se trouvait un immeuble situé en France, entrainant ainsi un contentieux quant à la demande de réalisation des opérations de liquidation-partage en France sur cet immeuble par le liquidateur[1].


La cour d’appel de Chambéry, dans son arrêt du 3 janvier 2017, avait retenu que l’ordonnance de faillite était une décision d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. En conséquence, elle produisait sans aucune autre formalité dans tout État membre, les effets que lui attribuait la loi de l'État d'ouverture et en particulier le transfert au syndic de la propriété des biens du failli, incluant sa quote-part indivise de l'immeuble situé en France, lui permettant ainsi d'exercer sur le territoire de cet État tous les pouvoirs qui lui sont conférés par ce transfert de propriété. Or, le failli s’est pourvu en cassation en soulevant le moyen unique selon lequel le syndic ne disposait pas des pouvoirs nécessaires pour la réalisation des biens, et même, que cette action était contraire à l’ordre public international.


La chambre commerciale de la Cour de cassation s’est donc prononcée sur le principe de reconnaissance de la procédure d'insolvabilité ouverte dans un des États membres du l'Union européenne ; mais également quant à la mise en œuvre de l'exception d'ordre public.


Le principe de reconnaissance. L’article 16 du règlement (CE) n° 1346-2000 du 29 mai 2000 [2]pose le principe selon lequel toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un État membre est reconnue dans tous les autres États membres, et ce, dès qu'elle produit ses effets dans l'État d'ouverture. L’article 18 § 1 du règlement précité précise quant à lui que le syndic désigné par une juridiction compétente en vertu dudit règlement, peut exercer sur le territoire d'un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l'État d'ouverture.


La Cour reconnaissant la procédure ouverte au Royaume-Uni comme étant la procédure principale, elle est par voie de conséquence, reconnue de plein droit sur le territoire français. Les relations entre le débiteur et le praticien de l'insolvabilité, l'étendue de ses pouvoirs sont donc le fait de la loi anglaise. En outre, la Cour qualifie le syndic comme étant « désigné par une juridiction compétente ». En conséquence, il peut exercer en France tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi anglaise.


Toutefois, l’article 18 § 3 du règlement du 29 mai 2000 précise quant à lui, que le syndic doit respecter la loi de l’Etat sur le territoire duquel il entend agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens.


Autrement dit, le syndic s’étant vu transférer la propriété des biens du failli, dont celui situé sur le territoire français, se doit de respecter la loi française en matière de réalisation de bien, et plus précisément, en l’espèce, de l’article 815 du code civil[3]. Ce faisant, la cour d'appel, reconnaissant les effets de la procédure d'insolvabilité attribués par la loi anglaise sur la propriété des biens du débiteur, a fait application de la loi de situation de l'immeuble pour déterminer le fondement et le régime de l'action engagée devant les juridictions françaises.


En conclusion, dès lors que le syndic s'est vu transférer la propriété des biens du débiteur, il est, au regard du droit français, un indivisaire à part entière et c'est exclusivement sur le fondement de l'article 815 du code civil, loi du lieu de situation de l’immeuble, qu'il peut en demander le partage.


Le rejet de l’exception d’ordre public international. L’article 26 du règlement du 29 mai 2020 permet à un Etat membre de refuser la reconnaissance d’une procédure d’insolvabilité ouverte dans un autre Etat membre si cette reconnaissance produit des effets manifestement contraires à l’ordre public. Ainsi cette réserve générale de l'ordre public ne remet en cause ni l'autorité juridique de la décision d’ouverture ni son effectivité mais en limite les effets, en considération des principes fondamentaux applicables dans l'État où l'exécution est demandée.


Sur ce point, la Cour de cassation est relativement concise : « la règle du transfert au syndic de la propriété des biens du débiteur, personne physique, mis en liquidation judiciaire, résultant de la loi anglaise, ne produit pas des effets manifestement contraires à la conception française de l'ordre public international ».

Malgré ce cours développement, la chambre commerciale fait mention d’une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui pose le principe selon lequel le recours à la clause d’ordre public ne doit jouer que dans des cas exceptionnels (CJUE 21 janv. 2010, aff. C-444/07, Mg Probud Gdynia sp. z.o.o[4]). Ainsi, en se référant expressément à l'arrêt Probud, la Cour de cassation fait sienne l’analyse de ce dernier et notamment l’application restrictive du domaine de l’exception d’ordre public international.


Cette décision s’inscrit dans la dynamique de la Cour de cassation de se positionner en qualité de juge européen, et plus précisément au regard des faillites relevant du règlement (CE) n° 1346-2000 du 29 mai 2000. En effet, elle s’est très récemment prononcée dans une affaire ayant des protagonistes similaires et portant sur la compétence d’un syndic pour agir devant les juridictions françaises relativement à un bien situé en France et compris dans une procédure d’insolvabilité ouverte au Royaume-Uni (Civ. 3e, 24 mai 2020, n° 16-20.520).


 

[1] Com. 16 juill. 2020, n°17-19.200 [2] Règlement (CE) no 1346/2000 du 29 mai 2000 [3] C. civ. art. 815 [4] CJUE, 21 janv. 2020, aff. C-444/07

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