Trottinettes électriques en libre-service
Dernière mise à jour : 17 déc. 2019
Au-delà de la loi Mobilités, quid de l’application de la loi Badinter ?

Résumé : L’actualité de la rentrée 2019 est assurément placée sous le signe de la trottinette électrique en libre-service tant son développement est la cause de nombreux incidents et accidents. Le droit positif connait depuis 1985 avec la loi Badinter des dispositions améliorant la situation des victimes d’accidents de la circulation et permettant l’accélération des procédures d’indemnisation. Dès lors, l’on peut s’interroger sur son application aux accidents de la circulation impliquant les trottinettes électriques en libre-service.
1. L’année 2019 restera l’année du développement des nouveaux modes de transports avec l’avènement des trottinettes électriques en libre-service dans les grandes villes françaises.
La trottinette électrique est une trottinette classique dotée d’un moteur électrique permettant de se déplacer sans effort à une vitesse moyenne de 25 km/h avec une autonomie moyenne de 23 kilomètres. Ce nouveau mode de transport connait un véritable essor ; à ce jour, Lyon, troisième ville de France, dispose d’un parc de 5 000 trottinettes en libre-service gérées par différents opérateurs tels que Lime, Circ, Bird ou encore Voi. Le parc parisien est, quant à lui, 4 fois plus important. L’utilisation de ces nouveaux véhicules électriques individuels (NVEI) a rapidement généré des accidents de circulation causant même la mort de certains usagers. Une fois de plus, la législation est prise de vitesse… Face à la nuée d’engins qui encombrent les trottoirs, la mairie de Paris y a interdit totalement le stationnement. La ville de Lyon est elle aussi intervenue en interdisant le stationnement sur les trottoirs, sur les ponts et dans certaines zones de la ville. La capitale des Gaules est la première ville au monde à avoir imposé le bridage à 8 km/h dans les zones piétonnes ; notons aussi la mise en place prochaine d’une taxe d’occupation de l’espace public [1] de 30 euros par an et par véhicule.
2. Le gouvernement, talonné par de nombreuses associations visant à améliorer la sécurité routière et de défense de victimes accidentées, a démontré sa volonté d’intervention au travers de différentes annonces pour certaines concrétisées dans le projet de loi Mobilités (dite LOM) de retour en septembre 2019 devant l’Assemblée nationale après l’échec d’une commission mixte paritaire en juillet. Parmi les quinze mesures-clés de la loi Mobilités [2], le ministère de la transition écologique et solidaire et le ministère chargé des transports prévoient l’élaboration d’un nouveau cadre pour les solutions en libre-service : les collectivités pourront instaurer un « cahier des charges » fixant aux opérateurs des critères à respecter et des mesures de sécurité routière pour protéger les usagers.
3. Au-delà de cette loi Mobilités en devenir qui agira – selon toute vraisemblance – en amont pour prévenir les incivilités, les comportements à risque et les accidents relatifs à l’utilisation massive de ces NVEI , une question demeure : la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes des accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation [3] dite loi Badinter est-elle applicable aux accidents impliquant une trottinette électrique en libre-service ?
I. La loi Badinter et l’obscure notion de véhicule terrestre à moteur
4. La loi Badinter est une loi d’exception dérogeant au droit commun des règles relatives à la responsabilité du fait des choses prévue à l’article 1242 nouveau du Code civil [4] et reposant sur une présomption de responsabilité à l’égard du gardien. Son principe est basé sur l’offre d’indemnité qui doit être faite par l’assureur à la victime dans un double délai imparti par l’article L.211-9 du Code des assurances.
Rapidement, cette loi a souffert de conditions d’application imprécises (A), la jurisprudence a su venir à son secours. Aujourd’hui, c’est au législateur qu’il appartient de définir la notion de véhicule terrestre à moteur (VTAM) (B).
A. Les conditions imprécises d’application de la loi Badinter
5. L’application de la loi Badinter suppose la réunion des trois éléments matériels suivants : un accident de la circulation impliquant un véhicule terrestre à moteur. La loi s’applique aux remorques ou semi-remorques mais ne s’applique pas aux chemins de fer ou aux tramways dans la mesure où ceux-ci évoluent sur des voies propres. La notion d’implication a été précisée par la jurisprudence : la loi Badinter est applicable dès lors qu’un véhicule terrestre à moteur est intervenu d’une manière ou d’une autre dans cet accident, et même en l’absence de heurt à condition dans ce cas que ce véhicule ait eu un rôle perturbateur [5].
6. Une première critique peut, d’ores et déjà, être faite à l’encontre de la loi dès lors qu’elle ne définit pas ce qu’est un véhicule terrestre à moteur. La jurisprudence n’a jamais œuvré dans le sens d’une définition se contentant d’adopter une vision très large du véhicule terrestre à moteur allant même jusqu’à ignorer le fait qu’au moment de l’accident le moteur fonctionne ou non.
L’étendue de la jurisprudence sur cette notion témoigne d’une véritable lacune de la loi sur ce point ; lacune exacerbée dès lors qu’il est question de véhicules inhabituels. Aussi, la Cour de cassation a-t-elle reconnu la qualification de véhicule terrestre à moteur à une tondeuse autoportée [6]. S’agissant d’une mini moto, la Haute Cour a relevé que le dit-véhicule disposait d’un moteur à propulsion et d’une faculté d’accélération excluant la qualité de simple jouet au profit de celle de véhicule terrestre à moteur permettant l’application de la loi Badinter [7] alors même que s’agissant d’une mini voiture, elle avait par le passé [8] relevé que la voiture « était un véhicule miniature réservé à des enfants en bas âge (…) assimilable à un jouet » et qu’elle n’était donc pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985.
La Cour de cassation admet donc largement la notion de véhicule terrestre à moteur permettant l’application de la loi Badinter. Dès lors, au sein de ce champ d’application toujours plus large, la question de « l’entrée » de la trottinette électronique dans cette catégorie est toute pertinente et se justifie dès lors qu’elle n’est pas un jouet notamment en raison de sa faculté d’accélération et qu’elle n’est pas non plus un véhicule miniature réservé à des enfants ; son mode de location via une application dédiée sur un smartphone dans laquelle des coordonnées bancaires sont enregistrées en est une première preuve.
B. Une définition circonstanciée à établir
7. Pour tenter d’en savoir plus sur la conception possible d’un véhicule terrestre à moteur, nous pouvons nous référer à l’article L 211-1 du Code des assurances selon lequel il faut entendre « tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée ». Si l’autonomie de la loi Badinter ne nous permet pas d’assimiler cette définition du véhicule terrestre à moteur, il convient tout de même de l’appréhender afin d’en évaluer la compatibilité avec la trottinette électrique. Or, la trottinette électrique dispose d’un moteur électrique, est destinée à circuler sur le sol, n’est pas liée à une voie ferrée et peut être actionnée par une force mécanique. Aussi, en application du Code des assurances, la trottinette électrique est un véhicule terrestre à moteur.
Par conséquent, la loi Badinter devrait être enrichie d’une définition précise du véhicule terrestre à moteur incluant trottinettes électriques et autres NVEI. Cette définition évolutive est nécessaire au regard du développement de nouvelles technologies en matière de transport dans la course aux mesures alternatives non polluantes.
II. De la nécessaire souscription d’un contrat d’assurance en complément de mesures de sécurité préventives
Le décret visant à l’entrée de la trottinette électrique dans le Code de la route au travers de règles de sécurité (B) ne sera une action suffisante du gouvernement qu’à la condition qu’une obligation de souscription d’un contrat d’assurance soit mise en place pour les opérateurs (A) permettant ainsi l’application de la loi Badinter.
A. De l’identité du titulaire du contrat d’assurance
8. Considérons que la loi Badinter puisse s’appliquer aux trottinettes électriques en libre-service, VTAM. Une problématique sous-jacente apparait alors s’agissant de l’assurance inhérente à ces nouveaux véhicules.
En effet, si les usagers propriétaires de trottinettes électriques sont contraints d’être titulaire d’un contrat d’assurance comprenant une garantie responsabilité civile couvrant dégâts matériels et corporels, il n’en est rien pour les utilisateurs des trottinettes en libre-service et les conditions d’assurance définies dans le contrat de location sont pour le moins floues.
A ce jour, aucune application de location ne permet de visualiser les conditions d’assurance ; les conditions générales d’utilisation sont complètement muettes sur ce point. Au moment de valider sa location, l’utilisateur n’est toujours pas sensibilisé ou averti d’une quelconque obligation d’assurance ; en tout état de cause, ce moment serait peu propice tant le caractère quasi-instantanée de la location en quelques étapes est mis en avant. Les associations de défense de victimes accidentées appellent de leurs vœux la souscription obligatoire d’un contrat d’assurance par les opérateurs.
Ainsi, la boucle serait bouclée et la loi Badinter pourrait s’appliquer pour régler les litiges entrant dans son champ d’application
B. Des nouvelles mesures préventives annoncées
9. En parallèle du projet LOM et au-delà de la possible application de la loi Badinter aux accidents de la circulation de trottinettes électroniques, le gouvernement s’est engagé dès le mois de mai 2019 à faire évoluer le Code de la route de façon à y inclure ces nouveaux modes de transports qu’il nomme nouveaux engins de déplacement personnels (EDP) motorisés. L’échéance donnée était relativement proche : à la rentrée 2019, le Code de la route serait modifié incluant notamment de nouvelles règles de sécurité telles que la fixation d’un âge minimum (12 ans) pour utiliser un EDP motorisé, l’interdiction de transport de passagers, la recommandation du port du casque, l’obligation de porter de nuit et de jour si la visibilité est insuffisante un vêtement ou équipement rétro-réfléchissant et enfin l’interdiction d’utiliser un engin dont la vitesse n’est pas limitée à 20 km/h. S’agissant des règles de circulation stricto sensu, le décret portera interdiction de circuler sur les trottoirs sauf autorisation du maire. En agglomération, la circulation se fera sur les pistes et bandes cyclables ; à défaut, sur les routes sur lesquelles la vitesse maximale est de 50 km/h. Hors agglomération, la circulation - interdite sur la chaussée – est autorisée sur les seules voies vertes et pistes cyclables. Le non-respect de ces nouvelles règles est sanctionné d’amendes allant de 35 euros pour le non-respect des règles de circulation à 1 500 euros en cas de conduite d’un véhicule dont la vitesse n’est pas limitée à 20 km/h. Ces mesures sont effectivement nécessaires. Depuis le 26 octobre 2019, le Code de la route intègre ces dispositions importantes, dangereusement manquantes jusque lors.
10. La rentrée 2019 est déjà loin derrière nous. La loi Mobilités, de nouveau soumise au vote devant l’Assemblée nationale le mardi 17 septembre et adoptée, n’est toujours au terme de son processus d’adoption. Un ultime examen au Sénat était prévu le 5 novembre. Le 19 novembre 2019, le projet de loi a été adopté définitivement. Moins de 10 jours plus tard, le texte a été soumis à l’éventuelle censure des sages. L’affaire est à ce jour en instance.
Toutefois, si le gouvernement et le législateur sont conscients de la nécessité d’agir au regard des annonces de mesures qui se multiplient, le focus est toujours mis sur la prévention. Le leitmotiv est le suivant : davantage de règles pour davantage de sécurité et in fine prévenir plus d’accidents et d’incidents. La possibilité donnée aux collectivités d’agir sur les règles permettra d’ailleurs une réaction rapide et une adaptation adéquate.
L’obligation d’assurance pour les opérateurs est la grande absente, rien n’est précisé s’agissant des accidents de la circulation impliquant une trottinette électrique. Or, la loi Badinter est en mesure de s’appliquer aux accidents de la circulation impliquant ce nouveau véhicule ; nous avons vu que les conditions sont effectivement réunies, la trottinette électrique est un VTAM. Le législateur doit se positionner clairement car s’agissant des accidents, il reste en deçà des actions concrètes qu’il convient de mener. Même lancée à 20 km/h, la trottinette électrique roule encore trop vite … pour le législateur.
[1] Sur ce point de l’occupation de l’espace public des trottinettes électriques : PUY-MONTBRUN (G.), « Quelle régulation pour les nouvelles mobilités ? », JCP G Semaine juridique, 24, p.1122-1123 ; RENAUDIE (O.), « Trottinettes électriques en libre-service : une délibération et des questions », JCP A, 15, p.2
[2] Loi Mobilités – Tout comprendre en 15 mesures clés : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/18191_LOM_15_mesures_12P_Pour%20BAT.pdf
[3] Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation - JORF du 6 juillet 1985 p.7584
[4] Article 1384 du Code civil jusqu’au 1er octobre 2016 - Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. »
[5] Civ 28 février 1990 – n°88-20133
[6] Civ.2è, 24 juin 2004 - n°02-20208
[7] Civ. 2è, 22 octobre 2015 – n°14-13994
[8] Civ.2è, 4 mars 1998 – n° 96-12242
réf. : JEANPIERRE (V.), "Trottinettes électriques en libre-service : au-delà de la loi Mobilités, quid de l’application de la loi Badinter", Doctrin'Actu décembre 2019, art. 110
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